Y a-t-il au monde plaisir plus grand que celui de lire un texte parfaitement intelligible ? Un texte dénué de toute notion abstraite, et qui décrit la réalité observable avec une acuité absolue... Face à un tel texte, c’est comme si le monde se déployait devant nos yeux, avec ses contours si nets, si tranchés… Et pourtant, les problèmes métaphysiques demeurent, et le langage reste sans doute le meilleur instrument dont nous disposons pour les affronter. Tel est par exemple le cas pour le fameux problème de l’être et du néant.
Il y a un point sur lequel tout le monde est d’accord : le néant engendre l’être et l’être engendre le néant. On retrouve cette pensée dans la philosophie indienne traditionnelle, chez Lao-tseu et les maîtres taoïstes, chez Platon, etc. Mais, en y regardant de plus près, on s’aperçoit qu’il y a, entre ces deux entités originelles, quatre sortes de relations possibles. Etudier et évaluer soigneusement chacune de ces relations, n’est-ce pas là un moyen comme un autre d’accéder à la sagesse ? Détaillons un peu tout cela.
1. Le néant engendre l’être. C’est le cas le plus favorable. Tchouang-tseu disait : « Du vide de l’esprit jaillit la lumière. » Du silence et de la paix de l’esprit naissent l’action adéquate, le geste parfait.
2. L’être engendre l’être. C’est là le domaine de la causalité, de la matière, de l’aliénation et de la souffrance. Face aux objets sensibles, d’innombrables variétés de sentiments apparaissent : désir, crainte, animosité, ressentiment, convoitise, etc. L’action est détournée de son cours optimal, de longues chaînes causales se mettent en place sans jamais atteindre la quiétude originelle.
3. L’être engendre le néant. Tout ce qui naît meurt, tout ce qui existe disparaît. C’est le domaine de la justice. L’être, impur, est conduit, du fait de ses contradictions internes, à l’anéantissement. « Les êtres divers du monde feront retour à leur racine », dit Lao-tseu (Tao-tö king, 16).
4. Le néant engendre le néant. Le néant est à lui-même sa propre source. « Sa fonction ne s’épuise jamais. » (Tao-tö king, 6).
A partir de ces quelques observations, de profonds enseignements peuvent sans doute être tirés. Aurai-je le cœur assez pur pour les discerner ?
C'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de plaisir "plus grand que celui de lire un texte parfaitement intelligible", un texte dans lequel aucun mot ne peut être retranché, où chaque terme est approprié, un texte qui donne une impression d'accroissement de notre être, qui nous élève au point que l'on se sente altier et noble d'âme : Tout cela est bien meilleur et plus satisfaisant qu'un plaisir éphémère et plus concret telle une bonne branlette ! Et je ne souhaite aucunement en disant cela déprécier la branlette et ses vertus dont Diogène était amateur, vantant ainsi ses bienfaits : "Ah, si l'on pouvait ainsi faire disparaître la faim rien qu'en se frottant le ventre !".
RépondreSupprimerEn ce qui concerne votre texte, cher Laconique, justement, il mêle habilement les deux plaisirs de nature différente cités précédemment : votre texte est écrit parfaitement et met en oeuvre une bonne petite branlette intellectuelle. vous philosophez, cher Laconique ! Décidément votre production est très variée et ce site riche de contenus intéressants, de la critique avisée de cinéma aux brillants essais philosophiques en passant pas de pointues critiques littéraires.
Mais pour revenir sur le texte qui fait l'objet de ce commentaire, je trouve les constats que vous établissez de façon si méthodique intéressants et ouvrant comme vous le dites des pistes de réflexions. J'aurais peut-être souhaité de ce fait que vous vous aventuriez dans l'analyse plus approfondie des cas présentés, afin de dégager des voies d'accès à la sagesse, afin que mettiez en lumière, en somme, les enseignements que l'on peut en tirer.
Cela étant dit, le plaisir de vous lire, cher Laconique, est toujours au rendez-vous ! Au diable les branlettes, leur trivialité, toutes ces cochonneries, vous équivalez largement une bonne petite pipe suivie d'une grosse partouze avec multiples éjacs faciales.
Vous me faites rire, cher Marginal ! Je vois que vous connaissez vos classiques, et cela me fait plaisir de vous voir citer ce brave Diogène, qui était un peu le Marginal Magnifique de son époque, celui qui appuie là où ça fait mal et empêche les conformistes de toute nature de s’endormir dans leur bonne conscience.
RépondreSupprimerComme vous l’avez noté, j’essaie de varier ma production… Ici, nous sommes dans la métaphysique pure, c’est-à-dire, et ce n’est pas moi qui vais vous contredire, dans de l’authentique « branlette intellectuelle ». Les Grecs, et je sais que vous ne l’ignorez pas, étaient d’ailleurs experts à la fois dans le domaine de la métaphysique et dans celui des autres activités que vous évoquez si plaisamment dans votre commentaire. Qui sait, peut-être que le fait de se décharger intellectuellement doit forcément s’accompagner d’une manière plus concrète le faire… Mais je m’égare, voyez sur quels terrains vous m’entraînez ! Il y a aussi une espèce de revendication dans mon texte : à une époque où les gens ne se servent plus du langage que pour de viles fonctions triviales, j’ai essayé de montrer que le langage pouvait aussi s’aventurer dans des territoires de pure liberté et de pure gratuité. C’est le domaine de la poésie, mais comme, contrairement à vous, la muse ne m’a pas favorisé de ce côté-là, je remplace les poèmes que je suis incapable d’écrire par de la philosophie…
Il y a, malgré tout, comme pour la poésie d’ailleurs, un enseignement à tirer de cela. Disons, en deux mots, que j’ai tenté d’exprimer le fait que la sagesse passe forcément par l’acceptation du néant, c’est-à-dire par le fait de reconnaître que rien n’est vraiment sérieux dans ce monde, que tout change et disparaît, et que l’attachement excessif aux réalités concrètes est une impasse. L’humour, le détachement, l’intelligence aussi sont sans doute à rechercher de ce côté. Mais ce n’est pas à vous que je vais apprendre comment se forment toutes ces vertus, car vous ne me semblez pas nécessiteux en la matière !