Je ne connais rien de plus régulier que le monde tel que Jules Verne le conçoit. Quel plaisir, quel confort de pénétrer dans son univers ordonné, dont les lignes sont impeccablement tracées, et dans lequel rien, jamais, ne sort du cadre ! Les romans de Jules Verne sont une merveilleuse illustration de ce que la vie pourrait être si la raison gouvernait le monde : une pure mécanique. A cet égard, ils représentent une sorte de perfection dans l’ordre de la création romanesque, et l’on peut être assuré qu’ils traverseront les âges avec l’aisance des marbres antiques.
Le mot « obsessionnel » est faible pour décrire les héros de Jules Verne. Lorsque l’on pousse le caractère psychorigide de ses personnages à un tel degré d’absolu, on sort du domaine de l’humanité, et l’on entre dans celui de l’horlogerie. Quel personnage sublime que Phileas Fogg, le héros du Tour du monde en quatre-vingts jours, dont la seule activité, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, consiste à se rendre chaque jour au Reform-Club, de midi à minuit, pour y lire son journal et y jouer aux cartes ! Comment ne pas être impressionné par l’idéal monacal du capitaine Nemo, ce milliardaire qui, pour être libre, s’est enfoncé au sein des flots, renonçant à toutes les commodités terrestres pour mener une existence d’étude et de contemplation…
Mais si les héros de Jules Verne sont admirables, leurs domestiques le sont bien plus encore. Leur abnégation est telle qu’ils sont prêts à suivre leur maître au bout du monde, à se jeter dans les flammes sans prononcer la moindre objection du moment que leur devoir l’exige. Comme la vie est simple pour Conseil, pour Passepartout, ces êtres à la fois vigoureux et effacés, dénués de toute autonomie, de toute volonté propre, et qui ne sont que le prolongement du bras de leur maître ! Et que penser de l’équipage du Nautilus, ces ombres, ces fantômes muets, qui accomplissent méticu- leusement leur tâche sans jamais exprimer la moindre aspiration particulière ! Privés de tout espoir de regagner un jour la terre ferme, condamnés à une servitude et à une chasteté éternelles, ils n’émettent pas la moindre réserve quant au sort qui est le leur, ils obéissent au moindre mot du capitaine Nemo avec un empressement et une efficacité jamais pris en défaut.
On peut rêver à ce que serait la société si tout le monde était comme Jules Verne et ses personnages. La vie serait une mécanique parfaitement huilée, elle s’écoulerait, silencieuse et sans surprises, avec la régularité d’un mouvement astral. Quel ennui ! Mais quelle sécurité aussi, et quelle certitude, avec une telle concentration des forces, de voir s’accomplir les plus hauts desseins de l’humanité ! L’homme étant ce qu’il est (et surtout la femme), nous savons bien que l’évolution des choses se fera toujours dans un sens diamétralement opposé à celui incarné par Jules Verne. C’est peut-être dommage pour l’espèce humaine, mais c’est une grande chance pour ses romans qui, s’opposant frontalement aux mœurs et aux comportements de chaque époque, susciteront à jamais la stupéfaction et l’émerveillement des générations de lecteurs.
Le mot « obsessionnel » est faible pour décrire les héros de Jules Verne. Lorsque l’on pousse le caractère psychorigide de ses personnages à un tel degré d’absolu, on sort du domaine de l’humanité, et l’on entre dans celui de l’horlogerie. Quel personnage sublime que Phileas Fogg, le héros du Tour du monde en quatre-vingts jours, dont la seule activité, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, consiste à se rendre chaque jour au Reform-Club, de midi à minuit, pour y lire son journal et y jouer aux cartes ! Comment ne pas être impressionné par l’idéal monacal du capitaine Nemo, ce milliardaire qui, pour être libre, s’est enfoncé au sein des flots, renonçant à toutes les commodités terrestres pour mener une existence d’étude et de contemplation…
Mais si les héros de Jules Verne sont admirables, leurs domestiques le sont bien plus encore. Leur abnégation est telle qu’ils sont prêts à suivre leur maître au bout du monde, à se jeter dans les flammes sans prononcer la moindre objection du moment que leur devoir l’exige. Comme la vie est simple pour Conseil, pour Passepartout, ces êtres à la fois vigoureux et effacés, dénués de toute autonomie, de toute volonté propre, et qui ne sont que le prolongement du bras de leur maître ! Et que penser de l’équipage du Nautilus, ces ombres, ces fantômes muets, qui accomplissent méticu- leusement leur tâche sans jamais exprimer la moindre aspiration particulière ! Privés de tout espoir de regagner un jour la terre ferme, condamnés à une servitude et à une chasteté éternelles, ils n’émettent pas la moindre réserve quant au sort qui est le leur, ils obéissent au moindre mot du capitaine Nemo avec un empressement et une efficacité jamais pris en défaut.
On peut rêver à ce que serait la société si tout le monde était comme Jules Verne et ses personnages. La vie serait une mécanique parfaitement huilée, elle s’écoulerait, silencieuse et sans surprises, avec la régularité d’un mouvement astral. Quel ennui ! Mais quelle sécurité aussi, et quelle certitude, avec une telle concentration des forces, de voir s’accomplir les plus hauts desseins de l’humanité ! L’homme étant ce qu’il est (et surtout la femme), nous savons bien que l’évolution des choses se fera toujours dans un sens diamétralement opposé à celui incarné par Jules Verne. C’est peut-être dommage pour l’espèce humaine, mais c’est une grande chance pour ses romans qui, s’opposant frontalement aux mœurs et aux comportements de chaque époque, susciteront à jamais la stupéfaction et l’émerveillement des générations de lecteurs.