Lu La Chamade, de Françoise Sagan (1965). Le petit miracle propre à Sagan agit toujours, qui fait que l’on ne peut s’empêcher d’éprouver de la sympathie pour ses personnages, lesquels ont pourtant tous les défauts du monde. Rien de moins raisonnable, je crois, qu’un personnage de Sagan : ils passent leur vie à courir les mondanités, à boire, à fumer, à coucher à droite et à gauche, livrés à leur paresse et à leurs émotions comme la bale l’est au vent. Ce qui les sauve, en fin de compte, c’est la distinction qui les caractérise. Dénués de toute ligne de conduite, ils font tout et n’importe quoi, mais ils le font toujours sans la moindre vulgarité, qui est pour eux le seul crime inexpiable. Lorsque Lucile, dans La Chamade, craint de se rapprocher d’Antoine, elle n’a qu’une envie, c’est qu’il « se conduise vulgairement, qu’il fasse une réflexion un peu basse et elle s’en débarrasserait aussitôt ». Quel charmant univers romanesque, que celui dans lequel une grossièreté pèse plus lourd qu’un adultère !
Il se dégage malgré tout une indéniable tristesse de cette Chamade. Tous ces personnages que rien ne soutient, pas plus la discipline que l’ambition, se dirigent inexorablement vers un avenir de solitude, de déchéance et de mélancolie, et ils le sentent fort bien. Avec ingénuité, Sagan ne se dissimule pas que ce sont ceux qui croient le plus fermement au bonheur, ceux qui le recherchent avec le plus d’avidité, le plus d’abandon, qui souffrent en définitive le plus. Mais comme Platon l’observait déjà, il est difficile de faire de bonnes histoires avec des personnages qui sont au-dessus des passions humaines…
Françoise Sagan est morte en septembre 2004, à soixante-neuf ans. Je regrette qu’elle n’ait pas vécu dix ans de plus. Il me semble que quelque chose nous aurait été épargné, dans l’inconcevable ère de vulgarité qui s’est abattue sur notre pays quelques mois après sa disparition, si sa figure, même muette, même cachée, avait encore plané sur le monde culturel français. Durant sa longue carrière, elle a souvent eu l’occasion de s’étonner que des personnes de tous âges, dans la rue, lui déclarent leur profonde sympathie, presque leur amour, alors même que certaines d'entre elles n’avaient pas lu le moindre de ses livres. Elle avait su toucher une corde intime chez beaucoup de gens. Ses romans, avec leurs limites et leurs imperfections, constituent le parfait témoignage d’une certaine élégance française, un peu surannée, et qui pourrait presque, dans notre nation frivole et voluptueuse, tenir lieu de sagesse.
Il se dégage malgré tout une indéniable tristesse de cette Chamade. Tous ces personnages que rien ne soutient, pas plus la discipline que l’ambition, se dirigent inexorablement vers un avenir de solitude, de déchéance et de mélancolie, et ils le sentent fort bien. Avec ingénuité, Sagan ne se dissimule pas que ce sont ceux qui croient le plus fermement au bonheur, ceux qui le recherchent avec le plus d’avidité, le plus d’abandon, qui souffrent en définitive le plus. Mais comme Platon l’observait déjà, il est difficile de faire de bonnes histoires avec des personnages qui sont au-dessus des passions humaines…
Françoise Sagan est morte en septembre 2004, à soixante-neuf ans. Je regrette qu’elle n’ait pas vécu dix ans de plus. Il me semble que quelque chose nous aurait été épargné, dans l’inconcevable ère de vulgarité qui s’est abattue sur notre pays quelques mois après sa disparition, si sa figure, même muette, même cachée, avait encore plané sur le monde culturel français. Durant sa longue carrière, elle a souvent eu l’occasion de s’étonner que des personnes de tous âges, dans la rue, lui déclarent leur profonde sympathie, presque leur amour, alors même que certaines d'entre elles n’avaient pas lu le moindre de ses livres. Elle avait su toucher une corde intime chez beaucoup de gens. Ses romans, avec leurs limites et leurs imperfections, constituent le parfait témoignage d’une certaine élégance française, un peu surannée, et qui pourrait presque, dans notre nation frivole et voluptueuse, tenir lieu de sagesse.
Cher Laconique, votre éclectisme fait plaisir à voir et à lire ! Vous sautez allègrement de Musso à Sagan en passant par King ou Verne !
RépondreSupprimerPour votre retour après plus d'un mois d'absence vous dépeignez donc ici avec l'intelligence et la finesse qui vous caractérisent les impressions que vous ont laissées cette "Chamade". Vous en profitez aussi pour analyser quelques aspects de l'univers de Sagan. C'est parfait, cher Laconique, vous êtes brillant à l'image de vos articles et le plaisir de vous lire est toujours au rendez-vous.
Hélas ! Je suis bien moins fan que vous de Sagan et, si je reconnais dans les quelques livres que j'ai lus d'elle une atmosphère particulière, teintée de mélancolie élégante, qui lui est spécifique, je n'irais pas jusqu'à parler de "petit miracle propre à Sagan". La magie, chez moi, n'opère pas à ce degré : je ne peux m'empêcher de trouver ses romans vains, faisant penser à ceux de gare, malgré leurs qualités de langue et leur charme indéniable !
Que voulez-vous, cher Laconique, les goûts (des lettres) et les couleurs...
Et oui, cher Marginal, j’ai lu pas mal de romans cette année, comme vous avez eu la gentillesse de le rappeler. C’est un genre que j’avais un peu négligé ces dernières années, au profit de l’histoire, et j’essaie de combler mes lacunes…
RépondreSupprimerLe Marginal n’aime pas Sagan, et je ne peux pas vous donner complètement tort. Je dois reconnaître que cette « Chamade » m’a un peu déçu, il me semble que le trait était plus net dans ses premiers romans, comme « Un certain sourire » et « Aimez-vous Brahms ? ». Mais Sagan reste quand même spéciale, immédiatement identifiable, et c’est l’un des seuls auteurs français post-seconde guerre mondiale que j’arrive à lire. Bon, c’est vrai que c’est un peu déprimant, je ne pourrais pas lire que ça pendant des mois, ça manque un peu de nerf, mais il y a quelque chose. Et puis, c’était une personnalité attachante, totalement dévouée à la littérature, totalement étrangère aux contraintes et aux vicissitudes matérielles, et j’ai voulu lui rendre hommage.
Oui, j’ai fait une pause, pour des raisons indépendantes de ma volonté, mais comme je prends toujours du plaisir à exprimer ma vision des choses par écrit, je crois que je vais reprendre un rythme un peu plus soutenu. Livrez-nous donc la vôtre, de vision des choses, cher Marginal Magnifique, c’est bien beau de commenter des popotins, mais on veut aussi l’expression la plus brute et la plus pure de votre créativité !
Certes, le talent et l'originalité de Sagan sont indéniables. Son premier roman, "bonjour tristesse" qui fut un immense succès mais aussi un scandale mondial le démontrent et elle n'avait que dix neuf ans. Maintenant on aime ou non son univers si particulier, celui d'une femme qui a vécu sa vie sans se préoccuper des convenances, et dont l'écriture est fidèle à sa personnalité. J'avais retenu dans "bonjour tristesse" cette citation qui évoque bien l'état d'esprit d'une jeunesse qui se veut libre : "La liberté de penser et de mal penser et de penser peu, la liberté de choisir moi-même ma vie de se choisir moi-même. Je ne veux pas dire d'être moi-même, puisque je n'étais rien qu'un pâte modelable mais celle de refuser les moules". Maintenant, il est vrai que considérant l'époque actuelle , sa littérature a un côté "vieille France" , avec ses personnages si particuliers dans leur dualité, leurs élégants tourments mais leurs sentiments restent intemporels. Néanmoins, lire aujourd'hui du Sagan est presque un dépaysement tant son univers reste spécifique, et il ne suscite en moi qu'un intérêt très modéré, car je ne lui trouve rien de passionnant hormis un certain charme. Bonne journée Laconique.
RépondreSupprimerDécidemment vous vous y connaissez en littérature française ! La phrase de « Bonjour tristesse » que vous citez traduit bien ce côté à la fois individualiste et un peu nonchalant que l’on retrouve souvent chez Sagan. C’est parfois un peu agaçant, et moi non plus ce n’est pas ce que je préfère. Mais c’était quand même une figure de la vie culturelle française, affranchie des conventions, comme vous le notez justement, et je ne sais pas s’il y a beaucoup d’équivalents de nos jours… C’est ce qui me rend un peu nostalgique quand je pense à elle. La plupart de ses livres ne sont pas passionnants, c’est sûr, mais ça reste tout à fait lisible, et c’est déjà pas mal du tout. Bonne journée !
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