Je ne connais aucune civilisation qui ait voué un culte plus fervent à l’écrit que la civilisation chinoise. Il n’y a guère que les docteurs juifs qui aient manifesté une telle passion pour l’étude de leurs textes sacrés. L’étude, pour le maître chinois, spécialement lorsqu’il appartient à « l’école des lettrés », plus connue en Occident sous le nom de confucianisme, est l’activité humaine par excellence. « L’homme de bien dit : Jamais on ne doit cesser d’étudier. » Ainsi s’ouvre l’ouvrage de Xun zi, célèbre et imposant continuateur de Confucius.
On ne peut qu’être frappé par la modestie d’une telle démarche. Confucius ne se considérait pas comme le fondateur d’un mouvement de pensée, mais comme un simple imitateur des sages du passé. « Je transmets, et n’invente rien de nouveau, disait-il. J’estime les Anciens et ai foi en eux. » (Entretiens, VII, 1). Et Xun zi fait cet aveu surprenant : « Il m’est arrivé de passer un jour entier plongé dans mes pensées. Cependant, cela n’a jamais valu un seul moment d’étude. » (Xun zi, I, 2). On rechercherait en vain de telles déclarations dans la tradition occidentale. Les dangers de la lecture, le caractère supérieur de toute pensée personnelle sont en effet proclamés par quasiment tous nos philosophes, de Platon à Schopenhauer.
Lequel vaut le mieux ? Vivre le nez dans les livres, comme Confucius et Xun zi, ou aller se frotter à ses contemporains, comme Socrate, qui y a laissé davantage que quelques plumes ? La vérité est-elle chez les Anciens, ou devons-nous la réinventer à chaque instant ? Voilà un problème difficile, et qui mérite bien que nous y portions toute notre application.
On ne peut qu’être frappé par la modestie d’une telle démarche. Confucius ne se considérait pas comme le fondateur d’un mouvement de pensée, mais comme un simple imitateur des sages du passé. « Je transmets, et n’invente rien de nouveau, disait-il. J’estime les Anciens et ai foi en eux. » (Entretiens, VII, 1). Et Xun zi fait cet aveu surprenant : « Il m’est arrivé de passer un jour entier plongé dans mes pensées. Cependant, cela n’a jamais valu un seul moment d’étude. » (Xun zi, I, 2). On rechercherait en vain de telles déclarations dans la tradition occidentale. Les dangers de la lecture, le caractère supérieur de toute pensée personnelle sont en effet proclamés par quasiment tous nos philosophes, de Platon à Schopenhauer.
Lequel vaut le mieux ? Vivre le nez dans les livres, comme Confucius et Xun zi, ou aller se frotter à ses contemporains, comme Socrate, qui y a laissé davantage que quelques plumes ? La vérité est-elle chez les Anciens, ou devons-nous la réinventer à chaque instant ? Voilà un problème difficile, et qui mérite bien que nous y portions toute notre application.
Éh bien, cher Laconique, je vois que vous avez de la suite dans les idées, puisque vous nous montrez encore une fois votre goût pour les sagesses orientales dans votre nouvel article que l'on peut classer avec d'autres de vos brillantes chroniques : "L'être et le néant", "Les Entretiens de Confucius, "L'insipidité du Tao" , "Éloge de Zhuangzi ", "L'esprit dompté", j'en passe et des meilleures encore !
RépondreSupprimerAvant de dire deux mots sur le sujet qui vous a occupé ici pour le plus grand plaisir des innombrables lecteurs du "Goût des lettres", Le Marginal Magnifique tient à vous dire que s'il a tardé à le faire c'est pour des raisons de temps, mais aussi parce que les activités du net le lassent un peu, comme le prouve d'ailleurs un rythme de publication réduit sur son propre site, ce que vous n'avez pas manqué de souligner dans votre commentaire de son dernier poème. Peut-être le moment viendra-t-il où Le Marginal Magnifique laissera tomber toute activité sur le net ? Enfin, pour l'heure la lutte continue...
Vous abordez donc dans ce nouvel article une question qui m'a bien souvent agité et qui continue à le faire parfois, mais de façon moins impérieuse. Je dis "moins impérieuse", car aujourd'hui les nécessités de la vie, de la survie devrais-je dire, m'empêchent de me la poser à titre personnelle, puisque, à mon grand dam, le temps me manque pour me plonger avec délectation dans quelques livres. Vous savez pourtant quel lecteur je suis, cher Laconique ! Un temps ai-je même pu rivaliser avec vous sur ce terrain, c'est dire...
Commençons par une petite remarque : il me semble que vous faites l'amalgame entre "aller se frotter à ses contemporains" et ne pas lire, alors que l'on peut très bien entretenir sa propre pensée sans côtoyer les tocards de ce monde et inversement s'accorder de grandes plages de lecture sans pour autant fuir le monde.
Bon, concernant le "problème" en lui-même, comme vous le dites il est "difficile" ; vous restez d'ailleurs en surface, ce que je regrette, et ne nous livrez aucune piste de réflexion, tout au plus sent-on chez vous une inclination plus prononcée pour la solution de l'"étude".
Selon moi, la lecture est formatrice, elle enrichit indéniablement notre imaginaire et notre système de pensée, mais je crois cependant qu'il est indispensable de laisser vagabonder son esprit, de le laisser libre de tout joug intellectuel, afin qu'il prenne sa propre consistance, et que nous puissions construire une individualité forte et unique. L'"étude" serait alors le terreau sur lequel notre pensée s'enracine avant de croître puis s'épanouir en une riche efflorescence aux caractéristiques propres. Bref, on en revient toujours au même truc : il faut savoir doser... Mais merde les extrêmes sont si bons !!!!
Eh bien cher Marginal, on peut dire que vous avez fait le boulot !... Vous êtes remonté loin, et vous avez pisté tout ce que j’ai pu pondre sur la philosophie de l’Empire du Milieu. Moi-même je ne sais pas si j’aurais eu le courage… Je reconnais bien là votre main experte qui fignole et peaufine tout ce qu’elle entreprend, et ne laisse rien au hasard. Je vous suis d’autant plus reconnaissant, que vous faites part d’une certaine lassitude à l’égard du Net. Il est vrai qu’on sent un peu d’éloignement, votre rythme de publication est plus espacé, et vous-même faites part de cette envie de ne pas vous attarder dans les commentaires de votre fameux site. Le Marginal est un être entier, qui veut se donner entièrement à ce qu’il fait, et le côté bouffeur de temps et un peu futile du Net lui convient mal. Ah ! croyez-moi je vous comprends ! Moi aussi, tout comme vous, j’ai vécu quelques années au vingtième siècle, lorsque la vie n’était pas fragmentée, lorsqu’on se plongeait une journée entière dans un livre, dans une promenade, sans être interrompu, sans avoir l’esprit ailleurs. Je regrette souvent cette époque, et je suis sûr que vous aussi, dont les poèmes témoignent parfois de la tentation de couper toutes les amarres pour retrouver une intégrité originelle… Du coup, considérer la Toile avec recul ne peut pas faire de mal ! C’est d’ailleurs pour cela que je suis parfois un peu évasif sur ce site, que je n’approfondis pas vraiment les questions que je soulève : il faut donner au Net ce que le Net peut digérer…
RépondreSupprimerMais je sais que le Marginal n’a pas fini de faire retentir la Toile ! Qui sait d’ailleurs quelles formes d’expression sa créativité prendra à l’avenir ? Peut-être que des sites comme Youtube verront des manifestations de sa créativité. Ma foi, vous savez que je ne tiens pas le cinéma en aussi haute estime que la littérature, que je pense qu’il tire plutôt vers le bas ceux qui le consomment et ceux qui le produisent. Mais après tout la valeur d’une activité dépend de l’état d’esprit avec lequel on la pratique. En attendant, le site du Marginal Magnifique est actif et bien actif, ainsi que sa page Facebook.
En ce qui concerne cet article sur Xun zi, j’ai surtout voulu consacrer quelques lignes à une école de pensée qui n’a pas d’équivalent en Occident. Le taoïsme, illustré en effet par Zhuangzi, avec sa quête du détachement, sa frénésie de se retirer loin du monde habité, peut être rapproché des Cyniques et de Diogène, ainsi que d’Héraclite pour la dialectique entre l’être et le néant. Mais tous nos philosophes prônent l’autonomie, alors que Confucius et ses disciples prônent une soumission complète aux rites et à la tradition. Ce sont les deux pôles de la pensée chinoise, et chacun s’est nourri du rejet qu’il éprouvait envers l’autre. Moi-même je me sens tantôt taoïste, tantôt confucianiste, ça dépend des heures !
Quel rôle attribuer à la culture ? Contrairement à ce que vous dites, vous avez sur ce point une bonne longueur d’avance sur moi dans de nombreux domaines, notamment en ce qui concerne la littérature romanesque. (Au passage, vous avez raison : ne pas lire ne signifie pas forcément se frotter à ses semblables. Mon antithèse est d’autant moins pertinente que Confucius a passé sa vie à voyager d’une cour à l’autre. Mais j’ai essayé de dégager des oppositions bien tranchées, pour la clarté de l’exposé, quitte à sacrifier les nuances. Le Net, que voulez-vous, le Net !) Je crois que se priver totalement de culture n’est pas très bon, les livres ouvrent quand même l’esprit. Le danger est de recracher des théories toutes faites, sans vraiment les assimiler. Il faut naviguer entre les deux, et votre métaphore horticole me semble très appropriée. Fleurissons cher Marginal, fleurissons ! Soyons confucianistes l’après-midi, taoïstes le soir, et en accord avec nous-mêmes en toutes circonstances !
RépondreSupprimerVoilà un texte qui est l'exemple des tourments que peut générer la culture et comme grande est la vôtre vous vous interrogez sur son impact sur la personnalité et sur la façon d'en tirer le meilleur profit. La culture polit l'esprit, enrichit la pensée en la faisant voyager, et offre une grande liberté de réflexion qu'il convient à chacun de faire sienne en fonction de ses attentes et propensions profondes et intimes. En fait , il faut l'assimiler et la digérer, en évitant l'indigestion et en restant toujours sur sa faim ,en se disant modestement que demain sera une autre découverte et qu'il n'y a pas de vérités éternelles. Le commentaire du Marginal me parait très pertnent et d'ailleurs vous le rejoignez dans la réponse que vous lui faites. La lecture se doit d'être épanouissante et non aliénante et surtout ne pas faire perdre pied avec la réalité. Et quel réconfortant dérivatif que ce passionnant voyage dans la pensée de cet autre qui se livre.
RépondreSupprimerce
« Les tourments que peut générer la culture », c’est un peu fort !... Disons plutôt « son impact sur la personnalité ». C’est en effet là une question me qui taraude un peu, comme elle taraude, j’imagine, tous ceux qui ont un rapport assez régulier avec les livres, les films, et tout ce qui peut élargir la pensée. Comme pour toute activité, la difficulté est sans doute de trouver le juste milieu, et d’éviter « l’indigestion ». Vous remarquerez toutefois que de tels cas d’indigestion sont rares de nos jours, c’est plutôt l’anorexie qui menace nos contemporains dans ce domaine… Enfin, comme l’observe le Marginal, qui manque en effet rarement de pertinence, dans ses commentaires comme dans le reste, la culture doit être un terreau pour l’épanouissement d’une pensée personnelle. Dès lors, à mon avis, mieux vaut trop que pas assez :-) !
RépondreSupprimerBonne soirée à vous.
Oui, cher Laconique, flattez-moi, j'aime ! En plus vous le faites sans mentir donc il n'y a aucun mal à la faire.
Supprimer