Les quelques fois dans ma vie qu’il m’est arrivé de mettre les pieds dans une ville, j’ai toujours ressenti une impression étrange. Je rentrais chez moi un peu étourdi, grisé, à la fois enthousiasmé et vaguement inquiet. Je sentais que j’avais été mis en présence de quelque chose qui n’était pas anodin, d’une puissance à la fois séduisante et légèrement nocive. La ville, ce phénomène si surprenant, demeurait pour moi une énigme. C’est la raison pour laquelle j’ai lu avec tant d’intérêt Sans feu ni lieu. Signification biblique de la Grande Ville, du penseur protestant, juriste et théologien, Jacques Ellul (1912-1994).
La thèse développée dans cet ouvrage est simple : la ville n’est pas un lieu neutre sur le plan spirituel, elle est le lieu de « l’enracinement dans le temporel » (p. 86), « le monde spécifiquement fermé à toute intervention de Dieu et volontairement tel » (p. 113). C’est Caïn qui a fondé la première ville, pour se protéger du monde après son crime et son rejet de Dieu. Depuis, toutes les villes sont maudites : Babel, le lieu de la confusion ; Sodome et Gomorrhe, le lieu de la corruption ; l’Égypte, le lieu de la servitude ; Babylone enfin, le modèle et le type de toutes les villes, lieu de l’idolâtrie, de la cupidité et de la captivité. Seule Jérusalem bénéficie d’un statut particulier, mais Jérusalem n’est pas sainte en elle-même, elle reste une ville comme les autres, soumise aux mêmes aléas tragiques, elle est seulement l’image transitoire d’une promesse.
Il est toujours difficile de rendre compte d’un auteur par lequel on se sent dominé intellectuellement. La pensée de Jacques Ellul, à la fois très concrète et authentiquement chrétienne, nourrie simultanément du matérialisme historique marxiste et de la Bible, vise non à produire des théories, mais à saisir la réalité des phénomènes qu’elle considère. Or le phénomène de la ville joue pour lui un rôle central dans le déroulement de l’aventure humaine. Car ce qui vient sur le plan eschatologique dans la pensée judéo-chrétienne, ce n’est pas le jardin des musulmans, ce n’est pas le champ de l’Asphodèle des anciens Grecs, mais c’est une ville, la Jérusalem céleste de l’Apocalypse, Dieu créant en fin de compte un espace complètement nouveau, sanctifié, tout en reprenant au terme de l’histoire le signe de la révolte de l’homme, le lieu de tous ses désirs et de toutes ses tentatives.
Citations
« La ville a donc une portée spirituelle, elle est capable d’orienter et de changer la vie spirituelle de l’homme, elle exerce une puissance sur lui et change sa vie, toute sa vie et non seulement son logement. Et cela apparaît un mystère effrayant. » (p. 39).
« Le fait de vivre dans la ville engage l’homme dans une voie inhumaine. Il l’engage dans le service et la dévotion de la sombre déesse. » (p. 61).
« L’homme devant la ville est en présence d’une si parfaite séduction, qu’il ne se connaît littéralement plus lui-même, s’accepte émasculé, dépouillé de sa chair et de son esprit. Et ce faisant, il s’estime parfaitement raisonnable, parce que la séduction de la ville est en effet rationnelle, et qu’il faut bien obéir aux impératifs de la raison. » (p. 74-75).
« Là, l’homme cesse d’errer et de douter, de partir à la recherche d’autre chose. Il a trouvé le monde à sa mesure, le monde fermé dans lequel tous ses besoins, toutes ses aspirations sont satisfaites, le monde où il se donne du repos, où il a trouvé la certitude. Mais toute cette séduction, toute cette satisfaction est en réalité le parfait esclavage de l’homme. Sombre vision de ces convois qui charrient vers la ville les corps et les âmes d’hommes. » (p. 114).
La thèse développée dans cet ouvrage est simple : la ville n’est pas un lieu neutre sur le plan spirituel, elle est le lieu de « l’enracinement dans le temporel » (p. 86), « le monde spécifiquement fermé à toute intervention de Dieu et volontairement tel » (p. 113). C’est Caïn qui a fondé la première ville, pour se protéger du monde après son crime et son rejet de Dieu. Depuis, toutes les villes sont maudites : Babel, le lieu de la confusion ; Sodome et Gomorrhe, le lieu de la corruption ; l’Égypte, le lieu de la servitude ; Babylone enfin, le modèle et le type de toutes les villes, lieu de l’idolâtrie, de la cupidité et de la captivité. Seule Jérusalem bénéficie d’un statut particulier, mais Jérusalem n’est pas sainte en elle-même, elle reste une ville comme les autres, soumise aux mêmes aléas tragiques, elle est seulement l’image transitoire d’une promesse.
Il est toujours difficile de rendre compte d’un auteur par lequel on se sent dominé intellectuellement. La pensée de Jacques Ellul, à la fois très concrète et authentiquement chrétienne, nourrie simultanément du matérialisme historique marxiste et de la Bible, vise non à produire des théories, mais à saisir la réalité des phénomènes qu’elle considère. Or le phénomène de la ville joue pour lui un rôle central dans le déroulement de l’aventure humaine. Car ce qui vient sur le plan eschatologique dans la pensée judéo-chrétienne, ce n’est pas le jardin des musulmans, ce n’est pas le champ de l’Asphodèle des anciens Grecs, mais c’est une ville, la Jérusalem céleste de l’Apocalypse, Dieu créant en fin de compte un espace complètement nouveau, sanctifié, tout en reprenant au terme de l’histoire le signe de la révolte de l’homme, le lieu de tous ses désirs et de toutes ses tentatives.
Citations
« La ville a donc une portée spirituelle, elle est capable d’orienter et de changer la vie spirituelle de l’homme, elle exerce une puissance sur lui et change sa vie, toute sa vie et non seulement son logement. Et cela apparaît un mystère effrayant. » (p. 39).
« Le fait de vivre dans la ville engage l’homme dans une voie inhumaine. Il l’engage dans le service et la dévotion de la sombre déesse. » (p. 61).
« L’homme devant la ville est en présence d’une si parfaite séduction, qu’il ne se connaît littéralement plus lui-même, s’accepte émasculé, dépouillé de sa chair et de son esprit. Et ce faisant, il s’estime parfaitement raisonnable, parce que la séduction de la ville est en effet rationnelle, et qu’il faut bien obéir aux impératifs de la raison. » (p. 74-75).
« Là, l’homme cesse d’errer et de douter, de partir à la recherche d’autre chose. Il a trouvé le monde à sa mesure, le monde fermé dans lequel tous ses besoins, toutes ses aspirations sont satisfaites, le monde où il se donne du repos, où il a trouvé la certitude. Mais toute cette séduction, toute cette satisfaction est en réalité le parfait esclavage de l’homme. Sombre vision de ces convois qui charrient vers la ville les corps et les âmes d’hommes. » (p. 114).
« Jésus-Christ n’a pas une parole conciliante ou de pardon pour les villes. Lorsqu’il s’adresse aux hommes, il y a les paroles de malédiction et les paroles de pardon. Les promesses de salut et les avertissements. Lorsqu’il s’adresse aux villes, il n’y a jamais que des formules de rejet et de condamnation. Jésus-Christ n’annonce à aucun moment la grâce sur cette œuvre de l’homme. Il ne connaît que son aspect démoniaque, et il ne sait rien d’autre que la lutte contre la puissance de la ville qui empêche son œuvre. » (p. 208-209).
« Jésus n’a pas de domicile. Toute sa vie, depuis sa naissance jusqu’à sa mort, est une errance. (…) A quoi bon les murs de la ville ? Il ne participe en rien à son activité, il rejette l’argent, les armes, les sciences ; il ignore la capitale et le progrès de la civilisation. Il sait que le seul repos légitime se trouve dans la confiance en Dieu. » (p. 219-223).
« La ville est un milieu parasite. Elle ne peut, en aucune façon, vivre par elle-même et en elle-même. Et ceci caractérise, d’ailleurs, toute œuvre de l’homme dans son autonomie. Il s’agit toujours d’une œuvre qui n’a pas de vie, qui tire sa vie d’ailleurs, qui l’aspire et vampirise la véritable création, elle est vivante par sa relation avec le Créateur. La ville est morte, faite de choses mortes et pour des morts. Elle ne peut pas produire ni entretenir quoi que ce soit. Tout ce qui est vivant doit lui venir de l’extérieur. Tout ce qui est vivant. Les aliments, c’est clair. Mais les hommes aussi, on ne dira jamais assez, sur la foi de statistiques, que la ville est une énorme mangeuse d’hommes. Elle ne se renouvelle pas en elle-même, elle se renouvelle par un apport constant de sang frais. » (p. 268-269).