Longtemps je me suis demandé quel était ce livre mystérieux, au chevet de François Mitterrand, sur son lit de mort. J’avais lu plusieurs biographies de l’ancien président, je connaissais son rapport particulier à la mort, son rapport privilégié à la lecture, et j’aurais donné cher pour savoir quel était le livre, forcément spécial, qui avait accompagné ses derniers instants. Je pensais trouver, dans cette information, une sorte de révélation sur le destin de cet homme exceptionnel, la clé qui permettrait d’accéder à ses ultimes pensées, à ses suprêmes préoccupations.
La révélation a eu lieu. Et je n’ai pas été déçu. Au début de cette année, vingt ans exactement après les faits, j’ai appris par l’intermédiaire d’un connaisseur éclairé qu’il s’agissait d’une biographie de Madeleine Gide, l’épouse d’André Gide. Chacun sans doute est libre d’interpréter le moindre événement dans le sens qui lui convient, de projeter une signification infinie là où d’autres ne verront que l’œuvre du hasard, mais je dois dire que j’ai immédiatement attribué à cette conjonction de Madeleine Gide et de François Mitterrand mourant une portée décisive, de nature quasiment eschatologique. Ainsi, cet homme qui avait tout connu et tout dominé, qui avait eu le monde au creux de sa main, s’est-il penché, une fois son parcours achevé, une fois mesurés la vanité et le néant de toutes choses, sur la plus effacée de toutes les créatures, sur celle qui avait choisi de s’enfouir de son vivant dans le silence d’une retraite définitive. Quel enseignement sur les véritables hiérarchies de l’existence voulait-il trouver là ? A-t-il voulu comparer, en cet instant ultime, les poids respectifs, dans la balance du salut, d’une existence consacrée au pouvoir et d’une existence dévouée à Dieu ? Et qu’a-t-il découvert, dans ces moments révélateurs où toutes les griseries de la réussite mondaine perdent d’un seul coup tout leur éclat ?
François Mitterrand est mort une froide matinée de janvier, après avoir reçu les derniers sacrements ; Madeleine Gide est morte une resplendissante nuit d’avril, la nuit de Pâques. Quels furent les sentiments de ces deux cœurs au moment de s’éteindre ? Cela, nul ne peut le dire.
Ah, cher Laconique, que j'ai craint que vous reveniez à la politique et à vos obsessions avec ce nouvel article que vos innombrables lecteurs attendaient avec impatience ! Mais non ! C'est un texte tout à fait poétique et à la portée métaphysique que vous nous livrez là, nous conviant à un court mais riche et agréable moment de lecture aux accents hugoliens. Les influences de votre dernière lecture se ressentent, cher Laconique !
RépondreSupprimerMitterrand et Gide, voilà l'association de deux noms qui ne pouvaient que vous régaler, puisque chacun d'eux pris séparément vous comble déjà. J'ignorais qu'il existait une biographie de Madeleine Gide, je me demande à quoi ça peut ressembler et si elle parle du goût de son mari pour les éphèbes. Certainement, remarquez...
En tout cas, la réflexion que vous partagez avec nous est intéressante, je n'avais jamais songé à cette idée de "dernière lecture" de grands hommes qui "permettrait d’accéder à leurs ultimes pensées, à leurs suprêmes préoccupations". Cette étude est transposable ! Hum, il faudrait se pencher avec sérieux sur la question. D'ailleurs, si vous avez d'autres révélations sur ce thème à nous faire, je suis preneur.
Comme vous l'expliquez, on peut être tenté de "projeter une signification infinie" à propos du choix de cette ultime lecture, alors qu'elle ne pourrait, au fond, qu'être "l’œuvre du hasard". Sans doute certaines associations entre le lecteur sur le point de trépasser et son ouvrage de "chevet" à ce moment sont-elles plus frappantes que d'autres et prêtent-elles davantage à commentaire. C'est le cas ici, vous l'expliquez bien, tant l'écart entre les deux styles de vie est important. Mais personne ne saura jamais si vos suppositions sont justes. Et c'est aussi bien : le mystère nimbant l'instant final conserve son entièreté, comme l'affirme votre conclusion, qui invite à une réflexion sur la mort.
Putain, cher Laconique, c'est riche tout ça !
Hé bien, cher Marginal, je suis presque surpris de vous voir ici ! Avec toutes vos activités, le site du Marginal Magnifique, le compte Twitter, la page Facebook, et surtout la publication de trois de vos livres cultes en édition brochée, on peut dire que vous n’êtes pas économe de vos efforts. Et encore, j’ai gardé le meilleur pour la fin, que vois-je, un incroyable manuel de séduction, digne de ringardiser Mystery à jamais ! Putain, mais vous êtes plus prolifique que Balzac en ce moment, c’est pas possible ! Franchement vous me faites honte de mon oisiveté en comparaison… En tout cas je sais où employer mes deniers pour me régaler, et allier de manière intelligente le plaisir et le développement personnel. Du coup je vous suis d’autant plus reconnaissant d’avoir trouvé quelques instants pour venir ici, j’espère que vous ne m’oublierez pas quand vous serez devenu une star et une icône de la culture postmoderne !
RépondreSupprimerBon, je quitte à regret vos activités si diversifiées, et j’en viens quand même à cet article. Vous avez vu juste, la conjonction de Gide et de Mitterrand, je ne pouvais pas passer à côté. (A ce propos, Mitterrand a été influencé par Gide dans sa jeunesse, comme toute cette génération de l’entre-deux-guerres, je suis tombé sur un de ses premiers articles où il le pastiche un peu irrévérencieusement.) Et avant tout, il faut que je cite la biographie en question : il s’agit de Madeleine Gide ou De quel amour blessée, de Sarah Ausseil. Et le fait en question m’a été révélé par le compte Twitter e-gide, une référence incontournable pour tous ceux qui s’intéressent à André Gide et à la bonne littérature en général.
Bon, pour le reste, méfiez-vous, mes « obsessions politiques » referont certainement surface à un moment ou à un autre. Mais là, comme vous le dites, c’est un texte un peu plus « poétique et métaphysique ». Cette dernière lecture de Mitterrand me tracassait vraiment, je connaissais l’existence d’un mystérieux ouvrage au chevet du lit de mort, mais personne ne savait de quel livre il s’agissait. Et là, début janvier, comme le titre un article de presse : le mystère est levé sur le dernier livre au chevet de Mitterrand ! Franchement ça m’a ému de voir Mitterrand revenir ainsi à ses penchants de jeunesse, et s’intéresser, comme Moix d’ailleurs dans deux de ses ouvrages, à la figure si singulière de Madeleine Gide. Maintenant, je ne pense pas que toutes les ultimes lectures soient significatives, parce que la plupart des décès arrivent en quelque sorte à l’imprévu, par accident. Tandis que Mitterrand savait véritablement, en pleine lucidité, qu’il vivait ses derniers jours, du coup le moindre élément prend une tout autre dimension. Mitterrand était fasciné par la mort, c’en était presque morbide, il scrutait les visages des mourants, se rendait à tous les enterrements, c’est peut-être pour ça que sa propre mort a une dimension particulière, qu’on la commémore chaque 8 janvier. Et Mitterrand aurait peut-être été déçu s’il avait su qu’il mourrait sans s’en apercevoir, paisiblement, dans son sommeil… Mais je quitte ces considérations un peu absconses et je vais me jeter sur les ouvrages sulfureux qui sont sortis de votre plume, cher Marginal !
RépondreSupprimerÉh ben, vous faites pas recette en commentaires sur cet article, cher Laconique ! Pourtant ces derniers temps il y avait un échange très actif chez vous... À croire que la mort de Miterrand laisse froid...
RépondreSupprimerEh, cher Marginal, vous me connaissez assez pour savoir que je ne cherche pas à « faire recette » ! Je ne suis pas un marchand de légumes que diable ! Les commentaires, ça va et ça vient, c’est le principe de la liberté sur Internet, et c’est très bien comme ça…
RépondreSupprimer