Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car la porte large et le chemin spacieux mènent à la perdition, et nombreux sont ceux qui y passent ; mais étroite est la porte et resserrée la voie qui conduisent à la Vie, et il en est peu qui les trouvent.
Matthieu 7, 13.
Relu La Porte étroite d’André Gide. Livre unique, à peu près incompréhensible pour notre époque. Livre volontairement morne, terne, dans lequel il ne se passe rien, et qui retrace la trajectoire d’une âme d’exception, la jeune Alissa, laquelle préfère Dieu à l’amour terrestre, et finalement à la vie. Et ce qui est extraordinaire dans cet ouvrage, c’est qu’il constitue tout à la fois la peinture exaltée du mysticisme le plus héroïque (avec le Journal d’Alissa), et une très subtile et très cruelle dénonciation des excès de ce même mysticisme. Les deux lectures sont possibles, de la première à la dernière ligne, et aucune n’est exclusive de l’autre. C’est que le lecteur ne peut pas ignorer que l’auteur de La Porte étroite est aussi celui des Nourritures terrestres, de L’Immoraliste, le futur auteur des Caves du Vatican. Quel esprit divers et ondoyant que celui de Gide, un esprit si vaste qu’il ne peut être contenu tout entier dans un seul ouvrage et qu’il a besoin de plusieurs miroirs pour se refléter pleinement, à la manière du paysage dans un kaléidoscope. Et quelle intelligence, quelle maîtrise de soi, quel sens de la retenue, quel sens inné de l’art enfin a-t-il fallu à Gide pour donner une telle perfection à chacune de ses œuvres particulières, sans jamais se livrer complètement dans aucune d’elles, si bien que ce n'est que dans l'ensemble formé par ses œuvres complètes que chacune prend tout son sens. Je cherche une personnalité plus complexe et plus riche dans notre littérature, et je n’en trouve pas.
Relu La Porte étroite d’André Gide. Livre unique, à peu près incompréhensible pour notre époque. Livre volontairement morne, terne, dans lequel il ne se passe rien, et qui retrace la trajectoire d’une âme d’exception, la jeune Alissa, laquelle préfère Dieu à l’amour terrestre, et finalement à la vie. Et ce qui est extraordinaire dans cet ouvrage, c’est qu’il constitue tout à la fois la peinture exaltée du mysticisme le plus héroïque (avec le Journal d’Alissa), et une très subtile et très cruelle dénonciation des excès de ce même mysticisme. Les deux lectures sont possibles, de la première à la dernière ligne, et aucune n’est exclusive de l’autre. C’est que le lecteur ne peut pas ignorer que l’auteur de La Porte étroite est aussi celui des Nourritures terrestres, de L’Immoraliste, le futur auteur des Caves du Vatican. Quel esprit divers et ondoyant que celui de Gide, un esprit si vaste qu’il ne peut être contenu tout entier dans un seul ouvrage et qu’il a besoin de plusieurs miroirs pour se refléter pleinement, à la manière du paysage dans un kaléidoscope. Et quelle intelligence, quelle maîtrise de soi, quel sens de la retenue, quel sens inné de l’art enfin a-t-il fallu à Gide pour donner une telle perfection à chacune de ses œuvres particulières, sans jamais se livrer complètement dans aucune d’elles, si bien que ce n'est que dans l'ensemble formé par ses œuvres complètes que chacune prend tout son sens. Je cherche une personnalité plus complexe et plus riche dans notre littérature, et je n’en trouve pas.
Ah là là, quelle groupie vous faites, cher Laconique ! vous prouvez avec ce tout nouveau billet littéraire la constance de vos goûts et les plus fidèles parmi vos innombrables lecteurs ainsi que votre dévoué Marginal ne peuvent être surpris par ce nouvel éloge de Gide à travers cette "Porte étroite", après maints brillants article sur d'autres ouvrages de Gide ou sur Gide lui-même que vous n'hésitez pas à qualifier de héros.
RépondreSupprimerBon, vous savez bien que je suis moins fan que vous et le souvenir de lecture fade et ennuyeux qu'il me reste de Paludes du même Gide suffit amplement à contrebalancer votre superbe et dithyrambique article dans l'envie que je pourrais avoir de lire cette Porte étroite.
Pour finir une question me hante, cher Laconique : cette "porte étroite" qui mène sur "une voie resserrée" est-elle métaphorique et votre article une exhortation à passer par la petite porte étroite de derrière, autrement dit une invitation à la sodomie ?
Ah là là cher Marginal, je la sentais venir, je vous ai tendu la perche ! Je ne vous félicite pas sur ce coup-là, vous auriez pu vous abstenir. Il faut dire que c’est une thématique avec laquelle vos lecteurs sont familiarisés, et que vous avez explorée à fond dans un poème célèbre entre tous…
RépondreSupprimerHé oui, je suis fan de Gide, c’est mon écrivain francophone préféré, je ne vais pas le dissimuler. Que voulez-vous, je le trouve à la fois fin, très subversif (surtout pour son époque), et maniant la langue française avec une maîtrise avec laquelle nul ne saurait rivaliser (sauf peut-être Voltaire). Que demander de plus ? Je le lirai jusqu’au bout, il me régale, voilà tout. Et en plus c’est un mec cool, pas un mondain, un vrai amateur de solitude.
Je vous avouerai que cette « Porte étroite » n’est pas mon opus préféré de Gide. Il a lutté contre sa nature pour l’écrire, et ça se sent, c’est un peu austère, un peu morne. Mais je vous trouve injuste sur Gide en général. Il me souvient que jadis vous trouviez au moins des qualités aux « Caves du Vatican ». « Paludes » est cité par plein d’auteurs contemporains comme une vraie réussite, un livre culte. « Les Nourritures terrestres » ont marqué toute une génération, c’est un bouquin sans équivalent. Après, c’est vrai qu’il faut prendre son temps, entrer dans un état d’esprit un peu méditatif, contemplatif. C’était une autre époque, moins frénétique, mais qui vous aurait sans doute mieux convenu, je n’en doute pas, connaissant vos rêves familiers.
Bah, ne m'en voulez donc pas, cher Laconique. Vous savez bien que je suis un poète et que par conséquent j'ai tendance à chercher et à voir des symboles et des métaphores partout. Aussi est-ce tout naturellement que j'ai pris votre brillant article pour une invite à peine déguisée à enfoncer sa bite dans des trous du culs voraces !
SupprimerLol. Je n'ai plus de mots là...
SupprimerLaconique, je vous lis toujours avec grand intérêt. Je vis, par vos textes, une aventure littéraire passionnante, car ils me font mieux connaître certains auteurs, comme Gide dont je n'avais lu que "La symphonie pastorale". Les commentaires et vos réponses sont aussi source de culture même si Monsieur Le Marginal Magnifique s'égare parfois.
RépondreSupprimerMerci à vous, on fait ce qu’on peut, sans trop se prendre au sérieux. J’ai lu « La Symphonie pastorale » il y a longtemps, je me rappelle surtout des observations acerbes du narrateur à l’égard de son épouse, lesquelles m’avaient semblé un peu autobiographiques... Si vous n’avez rien lu d’autre de Gide je vous conseille « Paludes », c’est court, très fin et très amusant. Monsieur Le Marginal Magnifique s’égare en effet parfois, mais je suis convaincu qu’il va se calmer, il a fait tous les orifices à présent, et je pense qu’il aura à cœur de rendre à ce site la dignité qui lui sied.
SupprimerTout comme votre invité plus haut, de Gide, je n'ai lu que "La Symphonie pastorale". Mais je n'ai pas aimé et, bien que le livre soit court, je me souviens avoir compté les pages jusqu'à la fin. C'était il y a une dizaine d'années ; peut-être que mon âge y a été pour quelque chose mais en réalité, je ne crois pas que ce soit un argument recevable. À vrai dire, j'ai le souvenir d'un livre "fade" et "ennuyeux", pour reprendre les termes que le Marginal Magnifique appliquait à "Paludes". Le seul ouvrage de Gide que j'ai tenté de lire par la suite fut "Les Nourritures terrestres", après avoir découvert, sur Internet, le sublime passage "Familles, je vous hais !"... Cependant, là encore, ce fut un échec, je me décourageai dès les premières pages. Décidément, je bloquais et bloque encore avec cet écrivain ! Et pourtant, je confesse être intriguée par Gide, mais j'ai le sentiment que je gagnerais plus à le connaître et l'apprécier par sa biographie pure que par son oeuvre... Quoiqu'il en soit, vos notes de lectures sur ses livres sont toujours les bienvenues pour moi, cher Laconique ! Je sais que vous m'aviez conseillé en privé "Les Nourritures terrestres", et sans doute en viendrai-je, un jour, à le réouvrir. Mais le moment n'est pas encore venu pour le Capitaine de (re)partir à l'abordage de l'oeuvre gidienne !
RépondreSupprimerMa foi, voilà un avis argumenté et qui se défend tout à fait, et ce n’est pas moi qui entreprendrai de vous convaincre ou de vous faire changer d’avis. En art la liberté prime. J’ai un lien très spécial avec Gide, c’est une longue histoire et je ne vais pas en dérouler tous les méandres ici. Disons, et votre intuition concernant cet auteur est tout à fait fondée, que c’est l’homme qui m’a séduit avant l’œuvre. Il n’y a pas eu de choc initial, contrairement à d’autres auteurs, mais petit à petit, à travers son « Journal », j’ai découvert une personnalité très riche, très subtile, un critique littéraire à la culture universelle, et un homme tolérant, pas du tout imbu de lui-même, avide d’expériences nouvelles, qui sait chercher le bonheur dans les petites choses de la vie comme un lever de soleil savouré en solitaire. Le goût pour son œuvre m’est venu après, à partir de cette connaissance de l’homme. Et c’est vrai que beaucoup de ses œuvres, considérées isolément, sont à première vue un peu froides, voire ternes, je le reconnais tout à fait. Voilà ce que je pouvais dire d’essentiel sur le sujet. J’ajouterais qu’il n’est pas du tout certain que vous soyez un jour appelée à apprécier l’œuvre de Gide, chère miss Flint, et cela n’aurait rien de déshonorant à mes yeux. Il y a chez Gide un certain ascétisme, un certain détachement (Gide emploie l’expression « passer outre ») qui ne correspond peut-être pas à votre nature profonde. C’est cela qui est beau en littérature, il y a toutes les nuances possibles, ce qui donne du sel et du piment aux échanges !
SupprimerEh bien, cher Laconique, je suis en quelque sorte rassurée de constater que ma première impression à propos de Gide et de son oeuvre n'était pas dénuée de fondement ! Il me semblait bien avoir discerné que cet homme était dotée d'une personnalité riche de culture et d'expérience, et cela ne laissait pas de me fasciner et de m'intriguer lors même que la lecture de "La Symphonie pastorale" et celle, avortée, des "Nourritures terrestres" ne m'avaient pas donné envie d'en lire plus de lui. Tenez, ça me fait un peu la même chose avec Rimbaud : j'ai toujours été plus happée par son caractère et par sa vie courte mais intense, que par sa poésie. C'est que les existences de certains écrivains et poètes sont parfois plus révélatrices de leurs personnalités que leurs oeuvres elles-mêmes... Bien souvent je n'ose pas révéler que je n'ai rien lu d'un écrivain mais qu'en revanche, je le connais avant tout par les essais biographiques qui ont été rédigés sur son compte. Ca fait un peu "imposteur" si vous voyez ce que je veux dire, alors que c'est une inclination naturelle chez moi, et qu'en faisant cela je ne cherche nullement à "briller en soirée" ! Nullement à briller tout court, d'ailleurs.
SupprimerEn tout cas, l'avenir dira peut-être si ma première impression doit rester la bonne ou non !
Hé, mais c'est que nous allons nous trouver des atomes crochus, Miss Flint, à force ! Qui l'eût cru ? Gide, et maintenant Rimbaud, sur lequel je partage votre point de vue... Pour Gide, si vous avez le courage, essayez donc "Les Caves du Vatican", que j'ai beaucoup aimé contrairement au reste et que peut-être vous goûterez contrairement au tenancier du Goût des lettres.
SupprimerEh, mais je vois que le courant passe bien entre vous deux, et je m’en réjouis au plus haut point. Entre deux personnalités anticonformistes et rebelles, pouvait-il en être autrement ? Seulement avec le Marginal on sait comment ça commence, on ne sait pas comment ça se termine. Il n’est pas rare que « des effusions de sang » et des « déchirements d’ongles et d’incisives » ne viennent conclure en apothéose une relation commencée sous les meilleurs auspices. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le principal intéressé qui a la franchise de le reconnaître !
SupprimerSinon « Les Caves du Vatican » c’est un peu artificiel, un peu construit, je ne suis pas sûr que ce soit l’accès le plus aisé vers l’univers gidien…
Ouh que vous êtes mauvaise langue, cher Laconique ! Ça peut finir aussi comme ça, voire comme ça !
SupprimerMais pourquoi donc aviez-vous des raisons de douter que nous pussions nous trouver des atomes crochus cher Marginal ? Face aux œuvres "un peu froides, voire ternes" (ce n'est pas moi qui le dis, c'est Laconique d'abord !) d'André Gide, ça ne pouvait qu'arriver (et pour ma part, je n'aurais jamais cru qu'une symphonie pastorale pût m'endormir à ce point. Mais là, c'est moi qui suis mauvaise langue...). En tout cas je ne sais que penser, du coup, des "Caves du Vatican" !
SupprimerBah, n'ayez pas peur Laconique, je ne suis pas en sucre, et je flaire facilement l'odeur du sang à seule fin de m'assurer que je peux remuer le couteau dans la plaie moi aussi ! N'oubliez pas qui fut mon illustre et furieux ancêtre... L'atavisme, ça compte !
Quant à vos fantasmes de canidé ou de ruminant, Marginal, je vous les laisse. Ma parole, vous êtes le Jean-Marie Bigard de la poésie ! Quoique dans ce cas l'on ne puisse décemment pas parler de poésie.
C'est que je vous croyais trop prude, moi, Miss Flint, je vous imaginais en petite religieuse en train de lire un livre au couvent, moi, Miss Flint, alors je craignais de vous effrayer un peu... Puis, comment vous dire, je tremblais à l'idée de choquer un joli petit oiseau tel que vous, moi, Miss Flint, je me sentais gourd face à votre élégance et votre grâce. Mais je suis rassuré maintenant, je sais que vous kiffez la bite comme toute jeune femme qui se respecte.
SupprimerEt que voulez-vous, on ne se refait pas, je suis vraiment "un ruminant" et tout autant "un canidé, chère Miss Flint !
Et je vous remercie pour le compliment, "le Jean-Marie Bigard de la poésie", hum, c'est beau...
Mais lol ! Purée, mais qu'est-ce que vous voulez que je rajoute après ça ? Loin de m'effrayer et de me choquer, vous me faites décidément bien rire avec votre franchise crue, cher Marginal ! Ma parole, ça n'est vraiment pas triste avec vous !
RépondreSupprimerAh, n'oubliez pas que je suis "le Jean-Marie Bigard de la poésie", chère Miss Flint, normal que je vous fasse "rire" ! Je fais honneur au surnom que vous m'avez trouvé...
SupprimerJe n'y peux rien si je suis franc au point d'être cru, je suis un peu comme un enfant, alors la vérité sort de ma bouche, telle quelle, dans toute sa splendeur. Je suis transparent, entièrement ! Qui peut en dire autant ?
Éh, laconique, on aimerait votre avis ! Où êtes-vous donc fourré ? encore en train de brouter des minous ?
Eh, je n’ai rien à dire, vous me régalez tous les deux… Vous allez bien ensemble, à la fois candides mais pas tant que ça au fond. Tout cela nous éloigne de la littérature et de Gide, je le crains. (Sinon, je suis peut-être « mauvaise langue », mais je suis sûr que ce n’est pas votre cas, cher Marginal.)
SupprimerOh, vous, cher Laconique, dès que ça parle un peu de sexe vous vous régalez de toute façon... Ce n'est pas pour rien que vous adorez Gide le sodomite patenté. Et effectivement, cher Laconique, je suis loin d'être une mauvaise langue.
SupprimerLe Marginal Magnifique, "entièrement" "transparent" selon ses dires ? Peut-être, mais pas invisible en tout cas ! Et je dois dire également que je me délecte toujours des vannes que vous vous envoyez tous les deux. Ça snipe dans tous les sens et c'est réjouissant !
SupprimerSinon vous avez raison, cher Laconique, nous avons allègrement envoyé Moïse et Gide au tapis et c'est déplorable, mais je crois tout de même que ça ne vous déplaît pas non plus !