27 décembre 2017

Nicolas Rey : Des nouvelles de l'amour


Lu Des nouvelles de l’amour, de Nicolas Rey, avec beaucoup de plaisir. Il y a là tout ce qui me plaît : de la distinction, du style, de l’intelligence, une grande pudeur. Vingt-trois nouvelles très courtes, avec à chaque fois la lutte désespérée de l’amour contre le temps, contre la vie, contre la réalité. On retrouve la tristesse des grands auteurs, celle de Sagan, de Musset.
Peu d’auteurs contemporains me touchent autant que Nicolas Rey. Il y a quelques années, c’était un Apollon : une taille élancée, une ondoyante chevelure d’ébène, un regard langoureux, une voix suave et douce. Quand je le voyais, je pensais toujours à la phrase de Clarence au début de True Romance : « If I had to fuck a guy... I mean had to… If my life depended on it... I'd fuck Elvis. » Un homme né pour l’amour, qui a passionnément aimé, qui a été passionnément aimé. Aujourd’hui, Nicolas Rey a quarante-quatre ans. C’est un homme brisé, courbé, ventripotent, aux cheveux gris, au visage flasque, à la voix chevrotante, qui n’a plus le droit de boire ni de fumer, à qui l’on a posé une hanche artificielle. Combien de temps s’est-il écoulé entre ces deux états ? Un clin d’œil, cinq ans, dix ans, pas plus.
Dans quelque temps, cinq ans, dix ans, vingt ans, Nicolas Rey mourra. Ce condensé d’intelligence, de sensibilité et de grâce n’aura brillé que le temps d’un éclair, éphémère et brûlant comme l’amour. Mais ses livres, peut-être les plus émouvants de notre époque, seront toujours là. Nicolas Rey n’a pas triché. Il a aimé, il a écrit, et il a sacrifié sa jeunesse et sa vie à ces deux uniques passions.

8 décembre 2017

J.D. Salinger : L'Attrape-cœurs


Depuis quelques jours, repris The Catcher in the Rye (L’Attrape-cœurs), de Jerome David Salinger, avec beaucoup de plaisir. Je l’avais lu il y a quelques années, en traduction, et la version originale que je lis à présent me semble bien supérieure, pour des raisons évidentes (tout le travail sur la langue, l’argot, etc.). C’est un livre remarquable et intemporel, car tout s’y passe dans l’instant, l’auteur n’est jamais en avance sur le lecteur, on chemine ensemble, de surprise en surprise, de rencontre en rencontre, dans une errance saccadée et caustique. Cette lecture me permet de saisir un peu mieux ce que j’apprécie dans un livre. Ce n’est pas tant la qualité des phrases elles-mêmes que le silence, l’espace entre les phrases. Chez Salinger, chaque phrase est séparée de la précédente par un blanc. Il est impossible de prévoir ce qui va suivre. Le point est plus qu’une marque de ponctuation, c’est une coupure absolue. Le récit renaît du néant à chaque phrase. En cela, ce roman reflète l’essence même de la temporalité, qui n’est pas un flux uniforme, mais une succession d’instants indépendants et déconnectés les uns des autres.
Cette lecture me renseigne aussi sur moi, sur la direction que ma personnalité a prise depuis quelques années. Il m’apparaît que la vertu que j’ai le plus cultivée, c’est le détachement. Rien ne me coûte moins que de m’arracher à la substance pâteuse d’une situation, quelle qu’elle soit. Cette faculté de mobilité, d’indépendance, de liberté, est ce que je prise le plus. Je pourrais mourir demain sans tiraillement, sans devoir couper douloureusement le moindre lien. En cela, ai-je véritablement atteint l’idéal prôné par les sagesses et les spiritualités ? (« Ne tiens rien ni personne pour cher », Dhammapada, 211). Le Royaume des Cieux s’ouvrira-t-il pour des cœurs de cette nature ? Ne passé-je pas à côté de la substance même de la vie ? Serai-je capable d’aimer encore ?