Je vivais avec mon chien, dans un appartement, avec mon chien et ma vie c’était aller au travail, rentrer à la maison, aller faire des courses. Une vie de routine, d’un ennui total. Et ça me pesait. Quand il est apparu, j’ai décidé de tout laisser tomber, quoi qu’il advienne.
Mary Brunner, citée dans Vincent Clark, Il était une fois Charles Manson
Je discutais l’autre jour avec un vieil ami.
« J’ai lu récemment un livre très intéressant, me dit-il. C’est une biographie de Charles Manson, sortie cette année, et signée d’un certain Vincent Clark. (Tu sais que les événements qui ont rendu Manson tristement célèbre ont eu lieu il y a cinquante ans tout juste, et que le film de Tarantino sort dans quelques jours). Un passage a retenu mon attention, des propos de Mary Brunner, la première jeune fille tombée sous la coupe de Manson, la toute première membre de ce qui deviendra la « Family ». Elle déclare : « Je vivais avec mon chien, dans un appartement, avec mon chien et ma vie c’était aller au travail, rentrer à la maison, aller faire des courses. Une vie de routine, d’un ennui total. Et ça me pesait. Quand il est apparu, j’ai décidé de tout laisser tomber, quoi qu’il advienne. » Mary Brunner était assistante à la bibliothèque du département des sciences humaines de l’université de Berkeley. Manson l’a rencontrée alors qu’il jouait de la guitare sur le campus, en 1967. Elle tombera rapidement enceinte, et son fils sera le premier des nombreux enfants qui verront le jour au sein de la Family.
On croit parfois que Manson n’a attiré à lui que des junkies, des filles paumées, ce que l’on appelle communément des white trash. Mais ce n’est pas le cas. Dans la Family, il y avait aussi des filles éduquées, diplômées. Par exemple une certaine Sandra Good, qui a fait des études de littérature anglaise, d’espagnol et de biologie marine, et qui était politisée. Comment des jeunes filles comme cela, venues souvent de milieux rangés et bourgeois (l’auteur le souligne), ont-elles pu succomber à un tel monstre ? Eh bien cela me semble très clair, très cohérent. La clé de l’énigme, c’est que Manson leur parlait exactement le langage que toute leur époque leur avait appris à comprendre, à aimer. Manson a déclaré ceci lors de son procès (je cite toujours le livre) : « Vous pouvez faire ce que vous voulez de moi mais vous ne pouvez pas m’atteindre parce que je ne suis que mon amour. » Si Manson exerçait une telle emprise sur ses interlocuteurs, c’est parce qu’il se situait, exclusivement, au niveau des émotions. Il parlait d’amour, de partage, il chantait des chansons, il disait qu’il fallait vivre dans le présent, ne pas se soucier de l’avenir. Il ne faisait pas appel à leur raison. Il avait instinctivement compris que dans le monde de 1967, dans lequel il débarquait après avoir passé sa jeunesse dans différents centres de détention, ce n’étaient pas des idées, des convictions, des vérités qui faisaient agir les gens, mais ce qu’ils ressentaient, tout simplement. C’est très exactement le monde dans lequel nous vivons. Nous n’acceptons plus de souffrir pour une cause qui nous dépasse, pour le devoir, la vertu, pour Dieu, pas plus pour l’avenir, ni pour les autres (les baby boomers ont placé leurs parents dans des EHPAD et ont laissé des dettes monumentales à leurs enfants). Ce qui compte, c’est de se sentir bien, d’où le succès des stars de rock et de pop qui sont les vrais maîtres des cœurs et des corps à notre époque (qui peut rivaliser avec Mick Jagger ?). Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, ce n’est plus un principe abstrait qui nous domine, mais nos affects, quelles qu’en soient les conséquences. Pas de logique, pas de raison. Pas de religion surtout. De la musique, des sensations.
Je comprends Mary Brunner comme si je l’avais faite. Elle était en prison au moment des meurtres de Cielo Drive et n’a donc pas commis d’homicide. Après 1977 elle a changé de nom, elle a disparu des radars. Mais si elle pouvait parler de son expérience aujourd’hui, elle te dirait ceci : « Oui, c’est vrai, j’ai suivi Charles Manson, j’ai même été la première à le faire. Mais c’était irrésistible, c’était plus fort que moi, voilà la vérité toute nue. Charles disait que toute la société n’est que mensonge et hypocrisie, que rien ne doit être propriété privée, qu’il faut tout partager, vivre dans l’amour. Il avait une vision si nette de ce qu’il voulait, un tel pouvoir de persuasion, et je m’ennuyais tellement dans mon quotidien, que je l’aurais suivi au bout du monde, sans hésiter. Il y avait un type qui me faisait des avances à la bibliothèque de la fac, un certain Brad. Un gars sérieux, fiable, attentionné. Si je m’étais mise avec lui, j’étais assurée d’avoir une vie réglée, sans surprises. Mais je n’en voulais pas. Charlie m’offrait le frisson de l’aventure, et cela n’avait pas de prix. Je préférais vivre dans la misère avec Charlie et son harem (nous n’avions pas de quoi manger, nous faisions les poubelles des grandes surfaces), plutôt que de m’installer avec ce type terne. Dès le début, dès le premier jour j’ai senti qu’il y avait quelque chose de mauvais dans le regard de Charlie. Mais c’est justement cela qui m’attirait. Je vivais dans une société de consommation, sans Dieu, sans transcendance, sans sacré, et seul ce que je ressentais m’importait. Je ne voulais pas faire le bien, « donner de bons fruits » comme dit la Bible. Je voulais du plaisir, me sentir vivante, me sentir bien. Et je sais que si c’était à refaire, placée dans les mêmes circonstances, je le referais, sans la moindre hésitation. »
Moi aussi je comprends Mary Brunner, cher Laconique, et je peux vous dire que si Charly m'avait sollicité je n'aurais pas donné cher de ma conscience morale...
RépondreSupprimerEt vous même, cher Laconique, n'auriez pas été le dernier à vous précipiter sous les ordre de Charly afin de sodomiser une actrice connue avant de la zigouiller !
Lol. C’est vrai que je suis influençable, cher Marginal. Vous-même vous m’avez fait faire des choses horribles. Vous m’avez fait regarder Cannibal Holocaust. Vous m’avez fait diminuer ma consommation de viande. Vous m’avez presque converti à la drague de rue. Comme quoi on est peu de choses…
RépondreSupprimerIl y a quelque chose de fascinant dans cette année 1969. C’est la fin du mouvement hippie, le moment où ça bascule dans quelque chose de sombre. En quelques années, mort de Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison. Sortie d'Easy Rider. C’est la fin de l’innocence, de l’âge d’or. J’avais même commencé le script d’un roman il y a quelques années qui s’intitulait 1969. Tarantino a très bien choisi son sujet, à la fois mélancolique, nostalgique et noir. Je suis très curieux de voir ce que va donner son film.
Bof, cher Laconique, j'ai simplement fait émerger quelques-uns de vos penchants en sommeil, mais vous n'avez pas besoin de moi pour céder aux vices. Et vous même m'avez fait faire "des choses horribles", dont, notamment, la lecture de presque toute l'œuvre de Platon et le visionnage du Crocodile de la mort de Tobe Hopper.
SupprimerEt, évidemment, cher Laconique, 1969 est une année charnière, Tarantino ne s'y est pas trompé... Je verrai son film, c'est sûr, même si je suis devenu réticent à son égard. Il connaît son boulot, il le maîtrise et a du style, mais je trouve qu'il fait un peu ado attardé : il évolue pas, il gagne pas en profondeur avec l'âge, c'est dommage. Puis j'ai l'impression qu'il cherche à faire du Tarantino. Ses films et scénarios ont perdu en spontanéité, c'est plus lourd.
Je suis d’accord avec vous, cher Marginal. Il y a un côté potache et lourd chez Tarantino depuis Kill Bill, un peu cartoonesque. Il n’a pas gagné en maturité, en profondeur, il est resté enfermé dans l’imagerie hollywoodienne, presque auto-parodique en effet. Pulp Fiction reste inégalé. Mais quelque chose me dit qu’il doit y avoir de très bons moments dans ce Once upon a time in Hollywood.
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