24 septembre 2020

Comment devient-on un auteur biblique ?

Le fait de donner son nom à un livre de la Bible, et d'être ainsi reconnu comme un interprète authentique de la Parole de Dieu, n'a été donné qu'à un très petit nombre d'hommes. Il y en a eu quelques dizaines durant l'Antiquité, dont plusieurs auteurs anonymes de psaumes, qui ont intégré le Canon et dont les chants dureront ainsi autant que l'espèce humaine. Au commencement de notre ère, le nombre des auteurs inspirés est encore plus faible. Si l'on devait les compter, on pourrait dire qu'il y a cinq grands auteurs du Nouveau Testament : Matthieu, Marc, Luc, Jean et Paul (je laisse de côté Jacques, Jude, Pierre, etc.). D'innombrables textes ont été produits, peu ont été élus. Pourquoi ces auteurs et non tels autres ? Comment devient-on un auteur biblique ? Avant de dégager des critères généraux, passons en revue ces cinq auteurs, cinq hommes comme vous et moi, dont l'existence ne peut être remise en cause puisque nous possédons leurs écrits et que nous pouvons y reconnaître des traits caractéristiques et personnels.
Matthieu : Matthieu est le grand classique du Nouveau Testament. L'évangile selon saint Matthieu est sans doute l'ouvrage le plus important de toute la culture occidentale, l'expression la plus pure et la plus canonique du message du Christ. Matthieu est pénétré de culture hébraïque, les réminiscences de l'Ancien Testament sont tellement mêlées à son texte qu'elles en deviennent indiscernables. Son Christ est vraiment le fils de David, le Messie tant attendu. Matthieu devait être un scribe de très haute tenue, qui a été saisi par un message nouveau et qui l'a transcrit en conservant toute la richesse spirituelle de sa culture d'origine.
Marc : L'évangile de Marc est sombre. On se croirait chez Dostoïevski. Pas de lumière, des foules de possédés, d'infirmes, de lépreux. Des démons partout, une humanité en proie au mal et à la souffrance. Et au milieu de tout ceci, un Christ sec, laconique, uniquement tendu vers sa mission. Un évangile sans poésie, sans fioritures, d'une sombre beauté à la Rembrandt. Le plus ancien et le plus bref des évangiles. Qui était Marc ? On devine un esprit réaliste, d'une grande probité intellectuelle, obsédé par le mal et la souffrance humaine, tendu vers la vérité nue.
Luc : Le plus hellénique des auteurs bibliques. Son évangile nous parle, avec ses scènes familières, issues du quotidien, ses dialogues ironiques, ses femmes, ses vieillards, ses enfants. Luc était médecin, il connaissait bien la nature humaine, les sourires, les rires, le simple bonheur de travailler, d'être vivant. Il est grec en cela, et on devine un homme très ouvert aux influences étrangères, à l'humanisme hellénistique. Un voyageur, un homme liant, bon, dévoué, sans doute le plus proche de notre mentalité contemporaine.
Jean : Le disciple que Jésus aimait. Un esprit totalement habité par le message divin, un cœur transparent, qui ne fait plus qu'un avec celui du Seigneur. Qui était Jean ? Son évangile est le plus circonstancié sur le plan historique, avec des détails que seul un témoin direct pouvait retranscrire, et pourtant ce n'est pas cela que l'on retient de lui, mais bien l'extraordinaire souffle prophétique de son texte, qui fait de lui un nouvel Ezéchiel, un nouvel Isaïe. Il est l'auteur biblique le plus cité et le plus pastiché par Victor Hugo. Comment un tel homme a-t-il pu exister ?
Paul : L'auteur le plus incompris, le plus ignoré, le plus oublié du Nouveau Testament. Des fulgurances à chaque ligne. Une densité de pensée presque insoutenable. Énormément de choses ont été écrites sur Paul. C'était avant tout un homme voué à l'action, à la prédication, aux voyages apostoliques. Tout entier sous la conduite de l'Esprit. Tout sauf un écrivain. Il dictait ses épîtres après des journées harassantes, dans un style obscur, haletant, complètement ébloui par l'évidence de la vérité qui le possédait. Et avec cela, une rigueur parfaite, une connaissance sans faille des fondamentaux du judaïsme, une compréhension unique de l'articulation entre l'Ancienne et la Nouvelle Alliance. Des mots jetés le soir au coin du feu, et dans lesquels tout le mystère du dessein de Dieu est renfermé.
Tels sont donc les cinq grands auteurs du Nouveau Testament. Si différents. Si incompatibles à première vue. Et pourtant certaines caractéristiques communes ont fait d'eux des auteurs bibliques :
- Le respect de la vérité historique : Nos cinq auteurs ont su éviter les deux impasses opposées dans lesquelles sont tombés les auteurs apocryphes : le merveilleux d'une part, l'intellectualisme désincarné des gnostiques de l'autre. Ils sont toujours revenus aux faits historiques, les dates, les lieux, les magistrats en fonction à l'époque, les logia authentiques et incontestables du Christ.
- Le style biblique : Dans la Bible, dans les psaumes, chez les prophètes, chaque verset est un absolu. On ne trouve pas la démarche démonstrative, progressive, linéaire des philosophes. Chaque verset se suffit à lui-même et contient la totalité du Mystère. Et pourtant les versets se suivent, s'enchaînent, et forment un ensemble supérieur, signifiant lui aussi, à la manière des figures fractales des mathématiciens qui délivrent un sens unique quelle que soit l'échelle à laquelle on les considère. C'est un style très difficile à imiter, et qui distingue radicalement les textes canoniques des textes apocryphes. Nos cinq auteurs possèdent ce style.
Le corpus du Nouveau Testament constitue donc un phénomène sans équivalent. En quelques années, en une génération, cinq auteurs très différents, parfaitement distinguables et reconnaissables, ont traduit un message unique, et produit chacun une œuvre absolument fondamentale dans la culture occidentale. Une telle concentration de génies n'avait plus été observée en Israël depuis des siècles, et ne sera plus jamais observée par la suite. Que s'est-il donc passé en Judée, en Galilée, quelques années plus tôt, qui puisse expliquer un tel phénomène ?

3 commentaires:

  1. Vous êtes un véritable exégète et théologien, cher Laconique ! Finalement, peut-être avez-vous raté votre vocation d'homme d'Église... ou de moine.

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  2. Qu’est-ce que vous voulez cher Marginal, c’est le monde moderne qui m’a rendu comme ça… De nos jours c’est soit les femmes, avec les filles qui prennent un melon incroyable, MeToo etc., soit la technique, l’argent, etc., bref l’aliénation où qu’on se tourne. La Bible et le Magistère de l’Église, c’est le seul domaine de liberté qui nous reste !

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