Rien n'est plus faux que l'idée que l'on se fait ordinairement de la mort selon le christianisme. On s'imagine que pour le christianisme il s'agit de mener une vie « bonne », puis, après la mort, d'en recueillir les fruits au Paradis. On se représente le modèle de la « bonne mort » selon le christianisme, une mort apaisée, au terme de laquelle on accède à un état supérieur. Le christianisme est donc une religion de la mort, une projection dans un au-delà fantasmé. Face à cela, les esprits forts ont beau jeu de dénoncer ces pieux mensonges, et de louer la lucidité, le réalisme, la résignation des philosophes, qui restent debout jusqu'à la fin et n'attendent rien après cette vie. Le problème, c'est que tout ceci est rigoureusement faux, c'est rigoureusement l'inverse ! Il est très peu question de la mort dans la Bible, il n'y a aucune description de l'enfer ou du paradis (termes quasiment absents du corpus biblique), la position chrétienne n'est pas une préparation à la mort (expression employée par Platon dans le Phédon), mais une attente du Jour du Seigneur, du Jour de Yahvé, jour de colère et de jugement. Ce qui est annoncé, ce n'est pas la mort, c'est le retour du Maître, qui arrivera « comme un voleur, à l'heure où l'on ne s'y attendra pas », et en vue duquel il faut se préparer sans relâche (« Veillez sans cesse pour ne pas être surpris »). Même sur son lit de mort, le chrétien ne doit pas se préparer à la mort, mais bien au retour de son Seigneur1. Le chrétien est déjà mort, mort au monde, mort au péché, mort avec le Christ (Rm 6). Par rapport à cette mort-là une éventuelle mort naturelle ne compte pas vraiment, elle est à peine évoquée dans l'Évangile. La position juive était exactement la même : dans les psaumes, le vieillard ne se prépare pas à la mort, mais demande à Dieu de lui rendre ses forces, et le remercie de l'avoir « tiré de la fosse » (Ps 30). Les prophètes ne disent rien sur la mort, ils annoncent des événements bien concrets : l'invasion assyrienne, la déportation à Babylone, les châtiments de Yahvé envers son peuple infidèle. Le Dieu biblique est le Vivant, le Dieu des vivants, la Source de vie, qui donne la vie, et qui n'a rien à faire avec la mort. La critique nietzschéenne qui voit dans le christianisme une religion des « arrière-mondes » se justifie si l'on considère ce qu'est devenu le christianisme historique, mais elle n'est absolument pas fondée bibliquement. L'ironie de la chose, c'est que ce sont précisément les philosophes grecs qui étaient obsédés par les « arrière-mondes », il n'y a dans la Bible aucun équivalent de la description des Enfers qu'on trouve dans L'Odyssée d'Homère, ou dans le Gorgias, ou le Phédon, ou La République de Platon. Le réalisme est bien du côté de la Bible, qui s'en tient strictement au visible, et ne va jamais au-delà. Dès lors, toute conception dite « chrétienne » de la mort et de l'au-delà retombe fatalement dans un paganisme, dans une conception cyclique de l'existence, tandis que pour le christianisme authentique il n'y a rien de tel, nous vivons « les derniers temps ». La position chrétienne est intégralement incluse dans la vie, c'est une position d'attente eschatologique, et en aucun cas une conception métaphysique de la mort.
1. « Ainsi donc, demeurez en lui, afin que, lorsqu'il paraîtra, nous ayons pleine assurance et ne soyons pas remplis de honte, loin de lui, à son Avènement » (1 Jn 2, 28).
Merci pour cette mise au point. L'argument des "esprits scientifiques" que vous évoquez est insupportable. Si vous ne l'avez pas déjà lu, "Le 19e siècle à travers les âges" de Philippe Muray s'inscrit parfaitement dans la continuité de ces propos.
RépondreSupprimerMerci Colimasson pour ce message. J'approuve votre point de vue sur la morgue insupportable de certains scientifiques et autres esprits positivistes, totalement pris au dépourvu dès que l'on sort de leurs schémas de pensée. On peut en constater les ravages sur certains sites malheureusement. Le XIXe siècle à travers les âges est un très bon titre, très bien trouvé. C'est simplement une question d'honnêteté intellectuelle, et de lire vraiment les textes, qu'ils soient sacrés ou non, avant de juger, ce que plus personne ne fait de nos jours apparemment.
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