Lu L'Invasion divine de Philip K. Dick, avec plaisir et intérêt. Il s'agit de l'avant-dernier roman de Dick, publié un an avant sa mort. Impressionné par l'austérité et la persévérance de Dick, qui livre un roman presque abstrait, constitué en grande partie de réflexions érudites et personnelles sur la Torah. On ne sent chez lui aucun désir de séduire ou de manipuler le lecteur, il suit son obsession de façon rectiligne, complètement imperméable à tout ce qui pourrait l'en détourner. Il y a chez Dick une vraie compréhension de l'essence du message biblique, ce qui est rare. Il a parfaitement compris que, contrairement à ce que tout le monde dit dans notre société subjectiviste, la foi n'est pas une affaire intérieure, personnelle, privée, mais que le Dieu biblique, tout au contraire, s'inscrit de façon décisive et objective dans l'histoire, dans l'histoire de tous les hommes, que c'est un élément extérieur à l'homme qui vient bouleverser sa vie de façon concrète. Très profondes réflexions sur l'origine du mal et sur le combat eschatologique entre Yahvé et Bélial au sein de la Création. Dick ignore à peu près complètement le rôle du Christ, il affirme explicitement que sa mission a échoué, et s'en tient pour la majeure partie à l'Ancien Testament – ce qui est un courant assez répandu chez ceux qui s'intéressent à ces questions (tout le courant kabbalistique). Grande admiration pour l’œuvre de Dick malgré ses limites (absence quasi complète de psychologie). C'est sans doute un de mes romanciers préférés.
Lu L'Affaire Jésus d'Henri Guillemin, historien bien connu pour ses ouvrages sur le dix-neuvième siècle et la Révolution, et surtout pour les enregistrements de ses conférences, qui font un tabac sur Youtube. Désaccord global avec l'ouvrage, plaisant au demeurant. Guillemin, qui se dit chrétien, a un point de vue qui me semble naïf, un pur point de vue d'historien, très répandu à notre époque : ce qui l'intéresse, c'est le Christ historique, le vrai Jésus de l'histoire, dont les évangiles seraient une sorte de recension documentaire. Il s'appuie peu sur les épîtres de Paul, presque pas sur l'Ancien Testament. Nous avons donc ici le cas inverse de Dick, pour qui seul l'Ancien Testament comptait. Le problème, c'est que ce postulat (Jésus photographié par les évangélistes) aboutit à un pur contresens quant à l'appréhension de la figure et du rôle du Christ. Le Christ est avant tout un événement scripturaire, explicité en premier lieu par les épîtres, – et les évangiles sont une sorte de développement théologique postérieur, de grand prix assurément, mais sans grande visée documentaire au sens où nous entendons ce mot. Ce n'était tout simplement pas la façon dont les « auteurs » bibliques concevaient leur tâche. Il faut appréhender la totalité de l'Écriture – Ancien Testament inclus – pour comprendre le Christ, et le fait d'opérer des sélections dans le texte sacré porte un nom très précis, cela s'appelle une hérésie. La conséquence de cela dans le cas de Guillemin, de la minceur théologique de son approche, c'est qu'il aboutit, comme Hugo, comme tant d'autres, à une vision avant tout morale de Jésus. On en revient, comme toujours, à la morale, non pas la morale étriquée du catholicisme bourgeois, mais la morale généreuse et altruiste de la gauche humaniste – laquelle n'en reste pas moins une morale, c'est-à-dire un singulier rétrécissement par rapport à la perspective biblique. J'éprouve donc de la sympathie pour Guillemin, pour son enthousiasme lyrique si communicatif, mais dans ces matières je préfère Ellul, qui me semble bien plus informé quant aux modalités fondamentales de l’exégèse biblique.
J'ai revu récemment la conférence de Guillemin sur l'affaire Jésus. C'est toujours marquant d'entendre quelqu'un parler des choses essentielles, du sens de la vie tel qu'il le voit...
RépondreSupprimerIl me semble que Guillemin dit tout à fait clairement que sa position est hérétique. Les chrétiens de gauche, qui sont à peu près les seuls qui m'inspirent de la sympathie, sont hérétiques pour la plupart de toute façon ? Je pense à Péguy, à Pasolini, à la théologie de la libération latino-américaine (condamnée par Joseph Ratzinger avant son pontificat)... Et ces dernières années on commence à revoir des chrétiens dans la gauche radicale française: François Bégaudeau dans Notre joie, Loïc Chaigneau ou Juan Branco parlent tous de leur foi...
Je ne suis pas tout à fait d'accord avec ce que vous dites sur le réductionnisme moral. Pour un panthéiste "spinoziste" comme Pierre Leroux (grande figure parmi les fondateurs du socialisme français), Jésus est en effet valorisé comme un guide moral, une sorte de sage oriental comme on en trouve en Inde.
Guillemin, lui, croyait bien à des choses surnaturelles (la Résurrection, l'au-delà, la vie post-mortem, etc).
Oui, ce sont des sujets très vastes, il y aurait beaucoup de choses à dire, évidemment, cher Johnathan Razorback. C'est vrai qu'il y a un courant chrétien de gauche anti-institutionnel, dont François Ruffin semble se réclamer également (pour ajouter un nom à votre liste). La conférence de Guillemin sur Jésus est émouvante en ce qu'on le sent parfaitement sincère sur ces sujets qui lui tiennent à cœur semble-t-il. Je ne vais pas lancer des excommunications, personne ne peut s'arroger le monopole de la vérité dans ce domaine. Je donne simplement mon point de vue sur la démarche de Guillemin, qui le conduit, selon moi, à adopter une lecture fautive des évangiles, qui ne peuvent pas être lus indépendamment du reste, pour des raisons d'intertextualité évidentes. Il est vrai que c'est souvent chez les chrétiens non-orthodoxes, qui ont une approche viscérale de la chose, comme Dostoïevski, que l'on observe les manifestations les plus authentiques d'une liberté chrétienne. Cela ne retire rien aux erreurs d'interprétation factuelles qui sont commises à propos des textes, et en particulier des évangiles.
RépondreSupprimerLa religion, la religion, toujours la religion, cher Laconique ! Il n'est plus un sujet que vous n'abordiez sous ce prisme. J'avais pourtant bon espoir à la lecture du titre de ce billet... Ouvrez-donc un second blog intitulé "Le Goût de Jésus".
RépondreSupprimerLe grand retour du Marginal, le seul, l'unique ! Ravi de vous revoir ici. Vous êtes sévère, je traite ici de deux auteurs qui ne sont pas spécialement réputés pour être des religieux, un célébrissime auteur de science-fiction et un fameux historien polémique. Pour le reste, je pense qu'il faut être sincère, traiter de ses préoccupations du moment quelles qu'elles soient, et les choses évoluent avec le temps. C'est déjà assez contraignant d'avoir un blog, alors deux j'imagine même pas...
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