Le poète et traducteur Philippe Jaccottet est mort il y a près d'un an, le 24 février 2021. Il avait passé à peu près toute sa vie à Grignan, dans la Drôme, loin de l'agitation des villes. L'Odyssée d'Homère, c'est à travers sa traduction que je l'ai lue et découverte. Traduction très sobre, limpide, au plus près du pur jaillissement de la poésie homérique. J'ai lu dernièrement quelques-uns de ses brefs recueils : À la lumière d'hiver, Leçons, Chants d'en bas, Pensées sous les nuages. Extrême économie de moyens, poésie presque aphasique, toujours au plus près du vécu, des choses simples de la vie, de la nature et des saisons, refusant tout lyrisme, toute virtuosité stylistique. Langue superbe bien entendu, d'une netteté, d'une précision, d'une beauté admirables. De nombreuses obscurités, mais c'est la règle du genre pourrait-on dire. Jaccottet s'attache, du moins dans les recueils que j'ai lus (qui sont des « livres de deuil » de son propre aveu), aux aspects douloureux de la vie, le temps qui passe, le vieillissement, la diminution des forces. Son esthétique du dépouillement et de la probité trouve son terrain naturel dans l'évocation de ces aspects automnaux de l'existence. Quelle belle vie que celle de Philippe Jaccottet, une vie que l'on pourrait qualifier de contemplative, une fidélité sans partage au service de ce que le monde d'aujourd'hui dédaigne le plus : le pur jaillissement de la parole poétique (c'est la formule qui me revient quand je veux l'évoquer). Une alliance consommée entre la spontanéité de la parole et le polissage sans fin de l'objet poétique (Jaccottet retouchait ses textes plusieurs années après leur publication, et sa poésie est toute de nuance, de retours et de repentirs, comme pour toujours cerner davantage une inatteignable vérité). Grande distinction de cette figure, qui le rapproche des écrivains de la génération précédente, d'un Gide, d'un Saint-John Perse sans doute (que je connais mal). Poésie la moins abstraite qui soit, toujours éprouvée à la pierre de touche du quotidien (le « pain », la « lampe », le « soir », etc.). Voici un de ses poèmes, tiré de Pensées sous les nuages :
Tant d'années,
et vraiment si maigre savoir,
cœur si défaillant ?
Pas la plus fruste obole dont payer
le passeur, s'il approche ?
- J'ai fait provision d'herbe et d'eau rapide,
je me suis gardé léger
pour que la barque enfonce moins.
et vraiment si maigre savoir,
cœur si défaillant ?
Pas la plus fruste obole dont payer
le passeur, s'il approche ?
- J'ai fait provision d'herbe et d'eau rapide,
je me suis gardé léger
pour que la barque enfonce moins.
Très juste portrait de Jaccottet. Que vous faites vous-même avec une économie de mots, mais tout est là.
RépondreSupprimerToujours un plaisir de vous lire.
J. Desrosiers
Merci à vous !
SupprimerEnfin ce blog retrouve sa vocation d'être, loin de toute pseudo rumination religieuse ou politique ! Ça fait plaisir. Vos innombrables lecteurs vont revenir en trombe, cher Laconique. D'ailleurs, remarquez que le plus fidèle d'entre eux est de retour en ma personne.
RépondreSupprimerEn tout cas, vous m'avez donné envie de lire Jaccottet,ça me rappelle Reverdy, que j'ai apprécié... J'aime cette poésie du XXème siècle lorsqu'elle n'est pas fumisterie, c'est cool, léger, agréable.
Merci, cher Marginal. Je ne connais pas Reverdy, mais il me semble qu'il a fini taraudé par des « ruminations religieuses », ce qui n'a pas été le cas de Jaccottet me semble-t-il.
SupprimerBah, je suis éclectique. Mais c'est vrai que sans vous c'est pas pareil, ce blog vous doit beaucoup.