- Lu Quelques mois dans ma vie, de Michel Houellebecq, court essai dans lequel l’auteur se justifie du scandale para-sexuel dans lequel il a été plongé au début de l’année. Ouvrage extraordinairement glauque, qui en dit long sur les idéaux de celui qu’une certaine droite (le Figaro) considère comme le grand écrivain, le grand penseur de notre époque. L’auteur nous apprend notamment que deux partenaires sont indispensables pour atteindre simultanément avec leur langue certaines parties de l’anatomie masculine, pratique qui seule permet au mâle, lorsqu’elle est convenablement exécutée, de s’élever aux « sommets du bonheur terrestre ». Il est vrai que de telles analyses méritaient bien un prix Nobel… Ouvrage rempli d’une haine étonnante à l’encontre d’à peu près tout le monde, de ses comparses néerlandais (à savoir « le Cafard » et « la Truie »), de Michel Onfray, des journalistes, des juges, des catholiques, de Picasso, de lui-même, etc. Étrange naïveté d’un homme qui a manifestement perdu depuis longtemps tout contact avec la société réelle. Comme toujours avec Houellebecq, un mélange de sincérité absolue et de maîtrise baudelairienne de la langue, un sens de la formule, qui rendent malgré tout la lecture fort plaisante.
- Lu Il était une fois à Hollywood, l’adaptation romanesque par Quentin Tarantino de son propre film, sorti en 2019. Ouvrage étrange, d’une érudition obsessionnelle quant au petit milieu hollywoodien des années 60. Des dizaines, des centaines, des milliers peut-être de noms propres jetés à la figure du lecteur, sans que l’on sache bien ce que cela apporte vraiment (étrangement celui de Kubrick manque, le signe d’un complexe d’infériorité ?). Je soupçonne Tarantino d’avoir voulu prouver au monde (et se prouver à lui-même) qu’il y avait tout un univers derrière son film, univers dont celui-ci n’avait pu dévoiler qu’une infime partie. Donc là Tarantino nous livre la totale, avec en particulier une narration interminable de la trame de Lancer, le feuilleton dans lequel joue son personnage Rick Dalton, sorte de récit dans le récit qui fonctionnait plutôt bien au cinéma, mais dont on a du mal à percevoir l’intérêt dans le roman. Une certaine impression générale de superficialité, même si c’est un peu le sujet du livre. Pas mal de complaisance aussi : Tarantino semble considérer qu’Hollywood est le centre du monde, et il ne fait pas beaucoup d’efforts pour intéresser ceux qui ne partagent pas son avis. Malgré cela, d’indéniables qualités : le sens du dialogue (sa marque de fabrique), un souffle indéniable, une véritable immersion dans le monde déjanté et crépusculaire qui nous est dépeint.
- Relu La Ligne verte de Stephen King, avec plaisir et intérêt. Il y a là tout Stephen King, à la fois le meilleur et le pire. Le meilleur : la narration, d’une fluidité incomparable, la cohérence et la richesse de l’univers romanesque, dans lequel on plonge complètement, et cette petite voix si unique de King, qui nous prend par la main à la première page et qui ne nous lâche plus jusqu’à la dernière. Le meilleur donc, mais aussi le pire, en particulier le manichéisme (les méchants sont très méchants, les gentils très gentils), un certain moralisme familial typiquement anglo-saxon (ah ! la famille, qu’y a-t-il de mieux dans la vie ?). Malgré tout un grand livre, un monument romanesque, bien supérieur au film emphatique et larmoyant qui en a été tiré.
Éh bien, cher Laconique, vous avez de bien belles lectures ! Et variées !
RépondreSupprimerVous vous faites plaisir avec le genre romanesque et on peut dire que vous êtes fidèle à vos amours littéraires : King, encore et toujours lui ! Et Houellebecq, que vous adorez conspuer, comme lorsque vous avez critiqué ici-même Anéantir, mais qu'au fond vous aimez bien et pour lequel j'ai l'impression que vous éprouvez une certaine affection, même si, ou peut-être plutôt parce que, il adore se faire lécher les couilles.
C'est vrai que c'est pas mal cette Ligne verte, j'avais apprécié à l'époque de sa sortie, moins le film, comme vous. Pourtant Franck Darabont n'est pas mauvais pour adapter King, il fait sans aucun doute partie de ceux qui s'en tirent le mieux lors cet exercice périlleux et maintes fois tenté, avec bien sûr de Palma et sa version de Carrie, sans oublier Carpenter et son Christine, auxquels on peut ajouter Cronenberg avec Dead Zone. Ah oui, et il y a aussi Misery et Stand by me de Rob Reiner. Finalement, ça fait pas mal ! Mais peu au regard du nombre de films produits inspirés de King... Darabont, quant à lui, a fait du bon boulot avec The Mist et surtout Les Évadés, qui transcende carrément le bouquin.
C'est agréable en tout cas de lire des avis nuancés et intelligents tels que les vôtre, quoi qu'on pense de ces ouvrages.
Ah merci à vous, cher Marginal. Oui, un peu de littérature, un peu de romanesque ne fait pas de mal, ça rend moins lourd, ça donne du recul. Et c’est vrai que dans ce domaine j’ai un lien unique avec King, même si j’ai pas tout lu, et même si j’en ai laissé tomber certains en route.
SupprimerJe ne sais pas si j’ai de « l’affection » pour Houellebecq, mais c’est vrai que dès qu’il sort un bouquin je me jette dessus, peut-être pour les raisons que vous mentionnez, qui sait. J’avais même pondu deux articles sur Anéantir ! Mais j’ai préféré celui-là, c’est plus court, plus substantiel, plus divertissant, même si d’un point de vue psychologique c’est un fatras indémêlable : il n’arrête pas de parler de honte indélébile, de Kafka, comme quoi sa vie est finie, etc., et en même temps il sort tranquillement ses trucs habituels sur ses pratiques, ses fantasmes, sa vision très particulière et très bornée du bonheur, etc. C’est incompréhensible, c’est vraiment un esprit malade, mais c’est quand même tenu, bien écrit, ce qui excuse tout.
J’avoue que je n’ai pas vu toutes les adaptations de King que vous mentionnez. Pour moi, si on met de côté le film qu’il est inutile de nommer du réalisateur qu’il est inutile de nommer, et qui n’a pas grand-chose à voir avec King, pour moi l’adaptation la plus marquante reste quand même Carrie de De Palma. C’est un film incroyablement fort, très marquant. La Ligne verte a de gros défauts, en partie présents dans le livre lui-même, il faut le dire. Et oui, Les Évadés se situe vraiment sur un autre plan, c’est une réussite totale, qui procure des satisfactions à tous les niveaux, au niveau de chaque scène prise séparément comme au niveau de l’ensemble. Mais là ça va au-delà de King en effet. Il faudrait écrire un article entier sur les adaptations de King, c’est compliqué parce que ses romans ne s’y prêtent pas tant que ça finalement, c’est très psychologique, dur à transposer en fin de compte. Je pense que le meilleur reste Carrie, qui a vraiment saisi et retranscrit parfaitement l’horreur « kingienne ».
*tels que les vôtreS. Décidément, cher Laconique, il faut que j'écrive mes commentaires à des heures moins indues !
SupprimerC'est quoi "le film qu’il est inutile de nommer" ? Shining ? C'est fou, j'y avais même pas pensé, tant maintenant on ne fait plus le lien avec l'œuvre de King, dont le nom a complètement disparu au profit de celui du "réalisateur qu’il est inutile de nommer". Et sinon on peut aussi mentionner la première partie de Ça, que j'ai personnellement bien aimée.
Quant à Houellebecq, c'est vrai qu'il est toujours plaisant à lire et j'imagine que son dernier opus également.
Eh oui, cher Marginal, je pensais bien sûr à Shining. Votre réaction illustre bien les raisons pour lesquelles King ne peut pas sacquer ce film : le film a complètement phagocyté le bouquin ! Oui, la première partie de It 2017 est pas mal. Je crois qu’on peut nommer Simetierre aussi, les deux versions, 1989 et 2019, c’est du bon vieux King vintage, même si ça n’a rien à voir avec le roman, son meilleur certainement. Mais bon, c’est inépuisable, il y a les séries aussi, tous ses bouquins récents ont été adaptés : Under the Dome, Mr Mercedes, 22/11/63, The Outsider, etc... Et les nouvelles aussi, comme Children of the corn, Le Radeau, Chambre 1408, etc. On peut trouver la filmographie complète ici. Vous savez quoi faire de vos nuits maintenant…
SupprimerOn n'en finirait plus ! Comme vous dites c'est inépuisable... mais mes nuits ne le sont pas, ni moi malheureusement.
SupprimerJ'apprends par vous, Laconique, la publication d'un dernier texte de Houellebecq qui semble au plus haut point fascinant. Son sens du slogan et son art de la formulation rendent presque tous les sujets qu'il aborde fascinants. Voyons jusqu'où cette résistance peut s'exercer.
RépondreSupprimerAh oui, chère Colimasson, vous pouvez lire sans souci Quelques mois dans ma vie, c’est très divertissant. Après c’est très glauque quand même, ça ne tire pas vers les hauteurs de l’âme humaine, c’est pas du Platon…
SupprimerJe ne sais pas si vous avez eu l'occasion d'entendre cet entretien au cours duquel Houellebecq exprime ses regrets concernant ses frasques : https://www.youtube.com/watch?v=UHlvBU4WPd0&ab_channel=LaGrandeLibrairie
SupprimerLe bougre arrive presque toujours à nous convaincre...
Ah oui, j’avais vu cet entretien à l’époque. Houellebecq parle bien, il est intéressant, et je le crois sincère. Je pense que je le lirai toujours. Mais il est très clair sur son échelle de « valeurs », dans le fond c’est un hédoniste soixante-huitard, il dit du mal de mai 68 mais il vient de là. Et encore je suis mesuré, il est beaucoup plus « cru » dans ses bouquins…
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