Je discutais l’autre jour avec un ami esthète et mélomane.
« En langue française, aucun ouvrage ne peut se comparer aux Contemplations de Hugo, me dit-il. C’est le nec plus ultra, non seulement de la poésie française, mais de toute notre littérature. C’est l’équivalent d’un livre saint, littéralement. Il représente la perfection sur tous les plans : sur le plan de la métrique, de la langue, de l’expressivité, de la beauté, mais aussi du fond, de la spiritualité, du sens. C’est une flamme qui éclaire la nuit la plus profonde qui soit, la nuit de l’exil, de la solitude, du tombeau. Dans cet abîme, Hugo est face à face avec les génies de la nuit, avec les démons, avec Dieu. L’extraordinaire virtuosité de la langue ne nuit ni à la richesse du sens, ni à la rigueur de la forme. Au contraire : il semble que tous les faisceaux de l’intelligence humaine se rejoignent et se renforcent l’un l’autre : la musicalité renforce le message, le message s’appuie sur le vers pour atteindre des régions toujours plus élevées. Il n’y a pas un mot à y retrancher, pas un vers, l’ensemble est parfait, du premier au dernier vers. Quel ouvrage, dans quelle langue, peut-il lui être comparé ? Shakespeare ? Shakespeare nous saisit, bien sûr, il nous captive, mais jamais il ne cause un tel ravissement. Goethe ? Mais Goethe est froid, ciselé, c’est encore le dix-huitième siècle. Le seul nom qui me vienne à l’esprit est celui d’Horace, dans la langue latine. Horace est cité dans Les Contemplations, il donne même son nom à l’un des poèmes. Celui qui a merveilleusement parlé d’Horace, c’est Nietzsche, dans Ecce Homo, et ce qu’il en dit pourrait tout aussi bien s’appliquer aux Contemplations.
Laisse-moi te lire le passage : « Jusqu’à présent aucun poète ne m’a procuré le même ravissement artistique que celui que j’ai éprouvé dès l’abord à la lecture d’une ode d’Horace. Dans certaines langues il n’est même pas possible de vouloir ce qui est réalisé ici. Cette mosaïque des mots, où chaque mot, par son timbre, sa place dans la phrase, l’idée qu’il exprime, fait rayonner sa force à droite, à gauche et sur l’ensemble, ce minimum dans la somme et le nombre des signes et ce maximum que l’on atteint ainsi dans l’énergie des signes – tout cela est romain, et, si l’on veut m’en croire, noble par excellence. »
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